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Les Gimenologues
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Quatorzième épisode. 37’41’’.
La bataille de Barcelone

Antonio Gimenez retourne à Barcelone, cette fois au tout début du mois de mai 1937.

Quatorzième épisode : La bataille de Barcelone

Antonio Gimenez retourne à Barcelone, cette fois au tout début du mois de mai 1937. La situation y est explosive et les conditions d’existence deviennent difficiles pour la population. Au fil des mois, les communistes prennent en main de nombreux secteurs du pouvoir, profitant de la popularité que leur confèrent la livraison des armes russes et la résistance victorieuse des Brigades Internationales à Madrid.

Au sein de la Généralité de Catalogne, en dépit des accords signés, et autres pactes d’unité entre la CNT et le PSUC, la lutte devient ouverte.
 Épaulés par les catalanistes, et s’appuyant sur les classes moyennes qui espèrent un retour à la situation d’avant juillet 1936, les communistes exigent et obtiennent en décembre que le POUM soit écarté du gouvernement de la Généralité.

 Ensuite, le PSUC met à profit de réelles difficultés d’approvisionnement pour monter la population contre la CNT, dont un ministre avait travaillé au ravitaillement. Certains soupçonnent même Juan Comorera, le nouveau conseiller communiste qui lui succède d’aggraver la pénurie, afin d’accuser les collectivistes d’incurie.
 Enfin, une crise ministérielle dans la Généralité éclate le 26 mars. Sous prétexte que des « Incontrôlés » menacent l’ordre public, le gouvernement catalan décide de dissoudre les Patrouilles de contrôle, formées d’un millier de militants politiques et syndicaux, en majorité anarchistes. La CNT accepte d’abord, puis, bousculée par sa base, bloque l’application du décret.

La tension monte, car, après la militarisation des milices, il s’agit maintenant ni plus ni moins de désarmer les comités de défense populaires. Or, depuis longtemps déjà, en plusieurs endroits d’Espagne, des militants socialistes et anarchistes sont séquestrés et torturés dans les prisons clandestines des services secrets soviétiques, ou retrouvés morts dans les rues.

Camillo Berneri dénonce sans relâche la traque des « Incontrôlés », c’est-à-dire en réalité des éléments les plus radicaux de la CNT et de la FAI. Pour cette tâche, beaucoup d’hommes sont enlevés du front et vont grossir les rangs de la nouvelle police en constitution. Le 29 avril, des troupes catalanistes et communistes délogent les anarchistes du contrôle des frontières, et multiplient les accrochages, meurtres et provocations.

Ainsi se dirige-t-on vers l’épreuve de force que les responsables libertaires voulaient à tout prix éviter, c’est-à-dire vers la guerre civile dans le camp antifasciste. Alors qu’ils restent les plus nombreux, du moins en Catalogne et en Aragon, les anarchistes n’ont à l’évidence plus l’initiative sur le plan politique. Fidèles à leur choix de ne pas créer de difficultés au gouvernement, leurs représentants restent sur la défensive. Berneri dénonce cette attitude dans une lettre ouverte à Federica Montseny, lui rappelant que des faits graves se produisent qui desservent la victoire militaire, et la révolution. Il se fait l’écho des inquiétudes de nombreux militants qui estiment que la CNT et la FAI se compromettent en vain avec les sphères du pouvoir.

Récit : du chapitre Barcelone mai 37 à la fin du chapitre Soledad

Fin du récit :

Revenons sur les événements de Barcelone : le gouvernement de la Généralité déclenche le 3 mai sa première attaque organisée contre les comités ouvriers révolutionnaires. Le Conseiller catalaniste à la Sécurité intérieure fait attaquer le central téléphonique de la place de Catalogne, contrôlé par la CNT depuis juillet. Aussitôt, les travailleurs du central résistent, tandis que le comité de défense de la CNT entre en action. En deux heures, la population des principaux faubourgs, sur le qui-vive depuis des semaines, entame la grève générale et érige des barricades. Les représentants de la CNT négocient avec le président de la Généralité, qui feint de ne pas être au courant de l’action de sa police, et promet de la retirer. Mais le matin du 4 mai, les gardes d’assaut occupent le palais de justice et se déploient sur tous les points stratégiques de la ville. La bataille sanglante se déchaîne alors dans les rues, tournant à l’avantage des anarchistes et du POUM. La population engagée sur les barricades estime sans doute que la défense de la révolution se joue là et maintenant, et dans toute la Catalogne des villes et villages se soulèvent.

Mais le jeu de dupes politicien continue : le gouvernement de la Généralité, et en premier lieu les communistes, accuse les anarchistes de rébellion et de provocation, démissionne en bloc, et refuse de négocier tant que la population combat sa police dans les rues. Sous l’argument de ne pas rompre l’unité antifasciste, ce qui ferait le jeu de Franco, ni de fournir aux puissances capitalistes l’occasion d’une intervention, la CNT fait tout pour calmer le jeu. Alors que le 2 mai, elle avait exhorté les travailleurs à ne se laisser désarmer sous aucun prétexte, le 4 et les jours suivants, ses ministres multiplient des appels à la radio. Ils supplient les militants des barricades de cesser le feu et de reprendre le travail. Par ailleurs, ils ordonnent aux miliciens, partis du front d’Aragon pour aider les ouvriers de Barcelone, de rebrousser chemin. Beaucoup de militants abandonnent le combat, écœurés et désemparés, tandis que les troupes du gouvernement de Valence finissent de rétablir l’ordre public en Catalogne.

Le 7 mai, les combats prennent fin, et les militants libertaires peuvent prendre la mesure du désastre. On compte entre 400 et 500 morts au sein de la population ouvrière. 300 anarchistes, dont beaucoup seront exécutés, sont retenus en otages dans le commissariat central, alors que la CNT, elle, a libéré les gardes d’assaut faits prisonniers. La Telefónica et d’autres bâtiments stratégiques ont été repris à la CNT, malgré les promesses. Dans la confusion générale de la bataille, et surtout après, beaucoup de militants, notamment des Jeunesses libertaires, sont liquidés d’une balle dans la nuque, ou disparaissent. Camillo Berneri et son ami Francesco Barbieri sont arrêtés le 5 mai à leur domicile par des hommes en civil, porteurs d’un brassard rouge, et par des policiers. Leurs corps sont retrouvés le lendemain dans des rues proches de la Généralité. Un article, paru le 29 mai dans l’organe du parti communiste italien en France, attribue à Berneri, traité d’incontrôlé, la responsabilité, nous citons :

« Du sanglant soulèvement contre le front populaire espagnol. La révolution démocratique, à laquelle aucun antifasciste ne refusera le droit à l’autodéfense, s’est fait justice sur la personne de Berneri »

On peut voir là une sorte de revendication... Pour Gimenez, comme pour beaucoup d’anarchistes de l’époque et d’aujourd’hui, il ne fait pas de doute que les meurtriers sont les communistes.
En tout cas, la répression, la terreur et les assassinats vont continuer dans les semaines suivantes et l’on sait à qui les attribuer : ils sont l’aboutissement d’une stratégie stalinienne exprimée en des termes bien précis dans ce télégramme envoyé le 20 juillet 1936 par le Komintern au PCE :
« Il est nécessaire d’adopter de toute urgence des mesures préventives contre les tentatives de sabotage des anarchistes, derrière lesquels se cache la main des fascistes. »

La Généralité annonce le 12 mai la dissolution effective des Patrouilles de contrôle, sans que la CNT ne s’y oppose plus. L’État central va reprendre la main en Catalogne en réinvestissant l’ordre public, le commandement des opérations militaires et l’industrie de guerre. Le 15 mai, Largo Caballero est remplacé par l’homme des communistes, le socialiste de droite Negrín, et dans le nouveau gouvernement, il n’y aura plus d’anarchistes. Le coup de force de mai, qui a permis l’instauration d’un véritable État démocratique autoritaire, dont les staliniens sont le fer de lance, a politiquement réussi.

Depuis septembre 1936, les dirigeants anarchistes avaient opté pour la collaboration avec l’Etat. Pour eux, dans la mesure où les libertaires n’étaient pas majoritaires en Espagne, le seul moyen de sauver les acquis révolutionnaires était de les institutionnaliser Au sortir des journées de mai, alors même que ces acquis sont sans cesse attaqués, les dirigeants de la CNT, empêtrés dans la logique de guerre antifasciste, s’intègrent progressivement à la restauration étatique, qu’ils soient d’ailleurs au gouvernement ou pas. Ainsi, beaucoup de militants libertaires ont dû frémir en lisant dans ce communiqué interne du 8 mai, nous citons : « Le Comité Régional de la CNT collaborera avec la plus grande efficacité et loyauté au rétablissement de l’ordre public en Catalogne, finissant avec la période d’activité partisane qui nous a justement menés à la situation insoutenable qui déclencha la tragédie ! Nous avons donc le plaisir de réitérer notre concours au gouvernement de la Généralité... ».

C’est dans cette disposition d’esprit que la CNT va condamner et dénoncer comme agents provocateurs le groupe des « Amigos de Durruti », qui a combattu sur les barricades et distribué le 5 mai un tract appelant à la poursuite de la lutte révolutionnaire dans les rues et dans les collectivités. Le 8 mai, ils publient un manifeste affirmant que les responsables cénétistes ont trahi la révolution.