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Les Gimenologues
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Chapitre 41 . Théories .

J’y retrouvai la plupart de mes amis : la tía Pascuala, ses filles et un des deux garçons de la maison...

J’y retrouvai la plupart de mes amis : la tía Pascuala, ses filles et un des deux garçons de la maison ; la niña, toute petite à côté d’un gars blond comme les blés et qui paraissait un géant. Elle me le présenta en disant simplement ces mots :“ Mi compañero. ”

Des copains de Pina me parlèrent de la façon dont la brigade Lister avait dissous les collectivités de la vallée de l’Èbre, détruisant toutes les archives pour effacer les preuves du travail accompli et employant les armes là où elle trouvait une opposition plus forte ou mieux organisée. Je retrouvai là, parmi les autres, une jeune femme et sa fillette, originaires de Peñalba. Après la mort de mes amis Jo et Fredy, je lui avais promis de m’occuper d’elle et de sa fille si je sortais vivant et pas trop amoché de cette guerre. Mais cela fait partie d’une autre histoire.
Nous étions repartis en ligne. Après avoir défendu nos positions de deux ou trois attaques et avoir repoussé l’adversaire avec pertes et fracas, nous avions été relevés et envoyés à Santa María de Molla. La bataille de l’Èbre faisait rage. Les nouvelles qui nous parvenaient étaient contradictoires et imprécises ; mais toutes concordaient sur un point : c’était un véritable enfer.

Notre commandant avait établi son P.C. dans les bâtiments d’une ferme à près de deux cents mètres d’une falaise qui me faisait penser à la proue de trois bateaux échoués sur une plage, en réalité une prairie qui descendait en pente douce.

Notre secteur était calme. Je passais mes journées à lire ou à me faire bronzer, mes soirées à discuter avec l’un ou l’autre des hommes de garde au P.C. du bataillon.
Un jour, Cathala vint me rejoindre dans le pré où, comme d’habitude, je m’étais retiré après le repas de midi pour lire en toute tranquillité un roman de Federico Urales, le père de la Montseny, que l’on venait de me prêter. Le voyant venir, j’enfilai en vitesse mon pantalon car j’étais nu comme un ver. Je le saluai en disant : “ Bonjour mon commissaire.
 Il n’y a plus de commissaire et je n’ai pas d’ordres à te donner.
 De quoi ?
 Je voudrais que tu me dises comment on pourrait instaurer une société libertaire aujourd’hui, sans passer par le communisme marxiste, pour préparer les hommes à vivre dans la collectivité libertaire. Comment on pourrait, sans employer la force, obliger tous les hommes à travailler, à produire, comme tu dis. ”

Je dois reconnaître, en toute franchise, que sur le coup, je fus un peu embêté pour lui répondre : je n’ai jamais été un orateur ni un propagandiste. Et quand la révolution avait éclaté en Espagne, j’étais un révolté, un rebelle, un hors-la-loi parfois, un de ceux qu’aujourd’hui on appelle des marginaux. Mais rarement j’avais essayé de convaincre quelqu’un de la justesse de mes idées, de mes rêves. Je l’ai regardé un moment en silence, puis je lui ai dit :
“ Nous exposons nos idées, nous ne les imposons pas. Nous ne recourons à la violence que lorsque nous y sommes obligés pour défendre notre liberté et celle des êtres qui nous sont chers. Quand la violence morale et matérielle du système devient intenable, quand le mépris et la morgue se rient de la misère et de la souffrance, alors, poussé au désespoir, préférant la mort à une vie d’esclave, un camarade se lève : la bombe éclate, le pistolet claque, un roi, un ministre, un président tombent. Et voilà que l’on crie au terrorisme. Non, ce ne sont pas nous les terroristes. Les vrais terroristes sont ceux qui, par tous les moyens, veulent garder, à leur seul profit, les richesses de la terre. Nous ne demandons pas que l’on nous fasse confiance, que l’on nous donne la possibilité d’établir des lois et la puissance pour les imposer. Nous ne demandons pas ce que demandent les politiciens car nous sommes des hommes et sommes corruptibles comme eux. Nous disons que tous les travailleurs du monde doivent prendre conscience de leurs droits, qu’ils doivent assurer la pleine responsabilité de leur production et des outils et matériaux qu’ils emploient dans leur travail. En abolissant la monnaie, on détruit le moyen de corruption qui permet la différenciation des classes sociales. Notre organisation sociale est celle de la jungle : le plus fort, le plus rusé se nourrit du plus faible. Depuis toujours, des hommes se sont levés pour prêcher le respect de la Vie, l’égalité entre tous les humains : Bouddha et Jésus sont les plus connus de ces hommes. Révolutionnaires en leur temps, un a disparu, l’autre a été tué. Leurs doctrines ont été faussées et sont devenues des moyens d’oppression grâce à l’ignorance des masses prolétariennes. Comment voyons-nous la société future ? Pour nous, libertaires, la société doit être une association des corps de métier nécessaire à la vie et à l’épanouissement de tous les êtres humains, sans préférences ni privilèges pour personne. Pour nous, un manœuvre a les mêmes droits qu’un ingénieur, du moment que tous les deux donnent le fruit de leur capacité physique ou intellectuelle au service de la collectivité. Chacun doit produire selon ses possibilités et doit consommer tout ce qui lui est nécessaire. ”

Je me souviens que nous nous séparâmes à la tombée de la nuit. Avant de me quitter, il me dit en souriant : “ Oui, ça serait beau si on pouvait réaliser ce que tu dis. Mais les hommes sont ce qu’ils sont et vos idées ne sont qu’un rêve. ”

Je dois avouer que je n’ai pas dit au commissaire que ce que je lui avais exposé se trouvait écrit, presque mot par mot, dans le cahier que Mario m’avait légué. Mon ami avait, dans ce mince cahier, exposé la somme de son expérience, de ses espoirs et de son Idéal.

Je vous demande pardon de ce long exposé d’idées. Pour moi, les souvenirs ne sont pas seulement les faits matériels, les combats, les aventures, mais aussi les motivations plus ou moins conscientes qui nous faisaient agir.


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