Ancien éditeur et rédacteur, en Espagne, de la publication Los Amigos de Ludd [Les Amis de Ludd], José Ardillo écrit des romans et des essais, et collabore à des publications libertaires. Les éditions L’Échappée ont publiésdeux de ses essais : Les Illusions renouvelables. Énergie et pouvoir : une histoire (2015) et La Liberté dans un monde fragile. Écologie et pensée libertaire (2018).
Recension des Essais d’hérésie de Luis Andrés Bredlow
Luis Andrés Bredlow, décédé il y a quelques années, n’est pas un auteur très connu en France. Chercheur en philosophie, essayiste et poète installé à Barcelone, traducteur de Günter Anders et de Guy Debord en espagnol et auteur d’une introduction aux écrits de Stirner, son œuvre se compose également de textes courts et d’articles publiés dans des revues comme Archipiélago, Mania ou Etcétera, connues pour leur vocation critique en marge de tout discours officiel. En ce sens, Bredlow fait partie de ces auteurs qui se tiennent à l’écart de la scène intellectuelle et académique et préfèrent parler à partir d’une perplexité ironique et désintéressée, en occupant des espaces où il est encore possible de porter une voix sans avoir à rendre des comptes aux petites et grandes tyrannies qui nous cernent. Il n’est pas difficile de deviner que notre auteur s’inscrit dans une tradition de pensée libre et inconditionnée, qui tâche de l’être du moins, et qu’il ne craint pas d’être frappé de l’ostracisme auquel les nouvelles orthodoxies condamnent les hérétiques.
De nos jours, nous sommes victimes des différentes orthodoxies que la classe dirigeante et tous ceux qui se soumettent à ses préceptes veulent nous imposer de gré ou de force. Quelles sont-elles ? Le livre de Bredlow en signale précisément quelques-unes, parmi les plus implacables et les plus œcuméniques : Démocratie, État, Progrès, Futur, Bien-être… Un catalogue d’horreurs quotidiennes qui constituent pourtant l’idéologie utilisée par le Pouvoir pour administrer ses stratégies. Ceux, peu nombreux, qui ne partagent pas les principes de l’orthodoxie officielle sont-ils irrémédiablement voués au bûcher où brûlaient jadis les hérétiques ? En tout état de cause, Bredlow, avant d’être soumis à un supplice si sanguinaire, prend le temps d’expliquer les raisons qui l’ont poussé à s’écarter de l’orthodoxie officielle et à faire acte d’hérésie. Un exercice de toute évidence nécessaire, car bien que les inquisiteurs de service ne semblent pas très enclins à entendre raison, c’est un devoir inéluctable pour le dissident que de rendre public le défi à l’autorité.
Nous pouvons voir que pour un auteur comme Bredlow, le problème de la liberté est concret et passe par le fait d’analyser la dimension des instances où se créent ses conditions de possibilité.
Cet aspect définit le caractère radical de sa réflexion : la dimension de l’État nie que ce dernier puisse être le foyer d’une véritable souveraineté collective. En voulant réintégrer la pratique de la volonté collective dans un cadre de proximité, Bredlow dénonce le caractère mystifié de nos démocraties dans les sociétés modernes, où il s’agit avant tout d’établir des médiations techniques, administratives et médiatiques entre l’individu et sa capacité à décider de quoi que ce soit. Si la démocratie actuelle est une orthodoxie acceptable et acceptée, la conscience qui dénonce son caractère trompeur devient une conscience nécessairement ignorée ou réduite au silence.
Ce bréviaire de l’hérésie rassemble donc des communiqués différents, pourrions-nous dire, qui, tout en traitant de questions différentes, renvoient en réalité à la seule question qui nous intéresse et devrait nous intéresser : le Pouvoir et tous les moyens de l’éviter, voire de l’anéantir. Le véritable hérétique, et il nous semble que Bredlow en est un, doit dénoncer le Pouvoir sous toutes ses formes. Notre auteur désigne avec lucidité les différentes façons dont le Pouvoir s’incarne dans la société actuelle, bien souvent sous les masques les plus banals, comme la Vitesse, le Tourisme, le nouvel Urbanisme, les Services Publics… En lisant ces communiqués, nous n’apprendrons rien de particulièrement nouveau, l’auteur ne prétend pas à la nouveauté, et c’est là toute la force de son hérésie : celle d’insister sur ce qui semble évident mais que la majorité des mouvements sociaux, ou considérés comme de gauche, s’obstinent à ne pas prendre en considération pour continuer, après un petit détour, à servir le pouvoir et la propagande progressiste.
Détrompés, sobres, avec une bonne dose d’humour et un ton proche de celui de García Calvo, auquel l’auteur rend hommage, ces essais d’hérésie sont une bouffée d’air frais parmi tant de théories fossilisées et d’idéologies alternatives.
José Ardillo