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COCCIARELLI CARLO

Nous reprenons la rédaction des biographies de chacun des 117 ex-combattants italiens (anarchistes ou pas) dont le nom se trouve sur la liste « Libertá o Morte » du camp d’Argelès sur Mer, dressée par la police politique italienne le 8 août 1939.
Cela s’inscrit dans le cadre de notre collaboration à la base de données sur le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer réalisée par Grégory TUBAN, de Perpignan : http://www.memorial-argeles.eu/fr/
https://www.memorial-argeles.eu/fr/1939/1939-2eme-periode-du-camp-avril-juin-1939/le-camp-des-brigadistes.html
Toutes les notices sont le fruit d’un travail de recherche en collaboration avec Tobia Imperato de Turin et Rolf Dupuy de Paris.
La traduction et la rédaction sont réalisées par Jackie, giménologue.

Carlo COCCIARELLI, alias Arduino Ortega, fils de Matteo et Macelli Matilde, est né le 26 août 1892 à Ancône.
C’est un anarchiste, marchand de bois de profession. Immédiatement après sa naissance, la famille déménage à Falconara, via Nazionale. Dès sa jeunesse, il milite dans le mouvement anarchiste et participe activement aux soulèvements de la "Settimana Rossa" de 1914.
Après son service militaire, il s’installe à Cagli, dans la région de Pesaro, où, le 28 février 1922, il est reconnu coupable de la tentative de meurtre qui échoua contre des fascistes Gaetano Liberati et Ernesto Arcangeletti ; Lors du jugement du 14 décembre 1922 de la cour d’assises de Pesaro, il est condamné pour cela par contumace à douze ans, un mois et quinze jours de prison, peine qui sera amnistiée le 31 juillet 1925. Mais Cocciarelli s’est expatrié immédiatement après les faits pour éviter l’arrestation et se réfugie en Union soviétique. De là, à une date non précisée, il passe en France où, le 19 mai 1928, il est condamné par le tribunal de Pontoise à trois mois de prison pour le délit de recel.
Depuis la France, il envoie des exemplaires du journal L’Unità à des habitants de Falconara. En août 1933, il se trouve à Pierrefitte-sur-Seine. Il y est connu pour ses idées libertaires et antifascistes. Il est nommé membre du secrétariat régional d’Amsterdam-Pleyel, membre du secrétariat général du Fronte Unico, secrétaire régional de l’Association des ex-combattants franco-italiens.
Recherché par l’OVRA, il est signalé dans le "Bollettino delle Ricerche" (Bulletin des recherches) et inscrit à la "Rubrica di Frontiera" (Registre des frontières). Il a un fils de sa compagne, Germaine, qu’il abandonnera par la suite. Il change constamment de lieu de résidence : en janvier 1934, il vit à Saint-Denis.
Au cours de l’été 1935, il est tenté de retourner en Italie pour revoir une certaine Sara Braga, une femme maintenant mariée, avec laquelle il avait eu une liaison pendant la Première Guerre mondiale, liaison interrompue par le père de la jeune femme. Elle lui déconseille de venir en Italie. La correspondance de Cocciarelli avec son ancienne amante témoigne d’une culture discrète et d’une foi déterminée dans les idéaux anarchistes.
Lorsque la guerre éclate en Espagne, Il s’engage dans la Brigade Garibaldi en tant que lieutenant de la compagnie de transmission sous le nom d’Arduino Ortega. En octobre 1937, il est arrêté à Barcelone sous l’accusation d’espionnage contre l’armée républicaine, et pour désertion. Il n’est que l’une des victimes de la répression menée contre les anarchistes après les émeutes de mai dans cette même ville. Il est envoyé à la prison des Brigades internationales de Castelldefels (Barcelone) le 28 juin 1938. Grâce à sa réputation et à l’intervention de l’avocat Bocconi, il est libéré à l’arrivée du nouveau commandant de la prison, Djordjevic, mais il reste à Castelldefels dans l’attente de sa destination jusqu’en septembre 1938.
La presse de l’époque rend compte du traitement réservé aux prisonniers anarchistes italiens. Terre Libre *1 proteste ainsi :
« Ceux de nos camarades qui se trouvaient en prison sous Negrin-Prieto subissent le même traitement de la part du gouvernement Negrin-del Vayo. Condamnés ou acquittés, ils restent en prison. La preuve de ce que nous affirmons est fournie par les noms suivants, bien connus des lecteurs de la presse anarchiste et anarcho-syndicaliste, et que nous communique le Comité National de l’Union Anarchiste Italienne. A Barcelone, les camarades Armanetti, Crespi et Cocciarelli, acquittés par le tribunal militaire, sont toujours en prison.
A Segorbe (Province de Castellón), les camarades Fusari, Morisi, Pisanchi, Pisani, Vezzulli, Masi, Mariotti et tant d’autres, acquittés eux aussi par les tribunaux, se trouvent toujours enfermés dans les prisons républicaines ».
Le journal Il Rivesglio Anarchico de Genève du 26 février 1938 publie l’article de l’Union Anarchiste italienne sous le titre Grido d’Allarme (Cri d’Alarme) qui alerte sur le sort des trois camarades cités et où l’on prend connaissance des lieux où Cocciarelli a combattu : Cerro de Los Angeles. Casa del Campo, Pozuelo, Aravaca, Boadilla del Monte, Mirabueno, Puente de Retumar, Guadarrama, Jarama.Morata, Tajuna, Guadalajara, Cifuentes, Huesca, Brunete, Campo Oliva, Villa Mayor (Aragon). Ce document est en annexe.
Cocciarelli est expulsé d’Espagne et interné au camp d’Argelès-sur-Mer où Il rejoint le groupe libertaire Libertà o Morte. Il est transféré ensuite au camp de Gurs, où il figure sur une liste de "suspects". Libéré, il séjourne d’abord à Paris où il recommence à écrire à sa famille, prévoyant l’inévitable déclenchement du conflit mondial. En avril 1940, il est dans un camp de travail du Moulin (Pas-de-Calais). Le 14 juin 1940, il se présente au consulat italien de Bruxelles et demande un "foglio di via" , un document de voyage pour retourner en Italie, demande qui aurait été rejetée. A Bruxelles il réside au 10 rue de la Perle. Il rejoint la résistance belge ; cependant il est signalé également comme résistant dans la Drôme*2
Au printemps et au début de l’été 1944, il est capturé par les nazis qui le transfèrent en Allemagne. Il est déporté à Buchenwald le 20 août 1944, sous le numéro 77100, en tant que prisonnier politique. Le 3 septembre 1944, il est transféré au camp de Mittelbau-Dora près de Norhausen, où se construisaient les missiles V2. Il meurt dans le sous-camp d’Ellrich-Juliushütte le 3 février 1945.

NOTES
*1 Terre Libre, organe de la Fédération anarchiste de langue française, n° 55 du 17 juin 1938.
*2 https://www.museedelaresistanceenligne.org/personnedetail.php?id=13446

ANNEXES

Il Rivesglio Anarchico de Genève du 26 février 1938
Unione Anarchica Italiana : « Cri d’Alarme », signé du Comité National.
Camarades,
Trois ardents révolutionnaires qui ont tout sacrifié dans la lutte pour l’émancipation de l’humanité, sont en danger.
Les compagnons anarchistes Crespi, Armanetti, le révolutionnaire Cocciarelli, sont en danger.
Le gouvernement clérical-socialiste-communiste les maintient en prison depuis quelques mois déjà sous de très graves accusations.
Pour un bas calcul politique, un procès contre ces camarades non pas pour des infractions à la loi ou aux règlements administratifs, mais pour espionnage, pour désertion face à l’ennemi, pour aide à l’expatriation.
Le gouvernement Negrìn veut aller jusqu’à l’extrême et exige l’exécution de nos camarades. Camarades, notre protestation doit empêcher ce crime odieux.
Les camarades Armanetti, Crespi et Cocciarelli ne doivent pas être sacrifiés à l’infâme esprit de vengeance des staliniens russes et italiens.
Nous rendons compte ici de la vie d’abnégation et de sacrifice de ces trois camarades, qui, avec beaucoup d’autres ont contribué à la révolution espagnole dans la lutte contre le fascisme international, avec leur esprit et leurs bras, prêts à offrir leur vie et ce qu’ils avaient de plus cher.

ARMANETTI DANTE
Il a 51 ans, il est né à Pontremoli. Il a vécu à Barcelone, Ronda Fermin Salvochea n° 38.
Il appartient au mouvement anarchiste depuis plus de 20 ans. Il a subi de nombreuses persécutions du gouvernement fasciste italien, qui l’a envoyé en résidence forcée sur l’île de Lipari, et ensuite à Ventotene. Libéré, il a passé clandestinement la frontière avec d’autres camarades antifascistes. Il s’est réfugié en France, apportant à notre mouvement toute sa foi et son intelligence.
Les autorités fascistes italiennes, informées des activités d’Armanetti à l’étranger, ont exercé des représailles sur sa famille restée en Italie. Le 15 janvier 1937, il part pour l’Espagne et veut aller au front. Mais son âge et sa forte myopie l’empêchent d’atteindre les tranchées. Un poste de confiance est confié à Armanetti qui s’occupera du travail de propagande et des relations entre les camarades italiens et leurs familles.

CRESPI POMPEO
Il est originaire de Gênes. Il a participé à la guerre mondiale en tant que quartier-maître de la marine. Déserteur en 1918 lors d’une escale dans le port de Bakoum, il apporte sa contribution active à la lutte révolutionnaire du prolétariat russe. Il reste en Russie jusqu’en 1920.
En 1920, il retourne en Italie après l’amnistie (le gouvernement Nitti l’avait condamné à mort pour désertion). Il est membre des Arditi del popolo et lutte farouchement contre le fascisme. Avec la prise du pouvoir par Mussolini, il se réfugie en France et y travaille jusqu’en septembre 1934. Cette année-là, il s’installe en Espagne et fonde une petite famille.
Le 28 juillet 1936, il part avec la colonne Ascaso pour lutter contre le fascisme et le militarisme, et participe à tous les combats.
Le 22 novembre 1936, alors sur le front de Almudevar en tant que commandant de batterie d’artillerie, Crespi est blessé par une balle. Admis à l’hôpital, la balle ne peut pas être extraite. Elle reste entre le poumon et l’omoplate, mais il veut retourner combattre dans la même colonne et dans la même batterie. Le 13 avril 1937, lors de l’action à Carascal, il est à nouveau blessé par une mitrailleuse ennemie au poumon droit. Il reste à l’hôpital pendant quatre mois.
La commission de réforme militaire veut le réformer avec une pension, mais le camarade Crespi refuse tout, et le 22 juillet il est de nouveau parmi ses camarades miliciens.
Mais ses graves blessures l’empêchent de supporter les privations de la guerre, il doit retourner à l’arrière. Il continue à refuser sa pension et demande en contrepartie un emploi auprès de sa femme. Le 3 septembre, Crespi est nommé cuisinier chez Angela dà Ribes de Freser, où il reste jusqu’à son arrestation.
(Sur un autre Crespi, Enrico voir notre notice : https://gimenologues.org/spip.php?article1003
Est ce le meme ? note des giménologues )

COCCIARELLI CARLO (…)
Voici les hommes accusés par Negrin d’espionnage et de désertion.
Sauvons-les ! "

DOCUMENT de Pavanin du 8-3-1940
Archives du Komintern :
558) Cocciarelli Carlo, alias ORTEGA Arduino.
Lieutenant, responsable du groupe de transmission de la Brigade Garibaldi.
Nous ne connaissons pas sa biographie et son passé et ne pouvons donc pas le relier à ses activités en Espagne. Il est donc difficile de tirer un jugement plus définitif sur son comportement en Espagne. Cocciarelli arrive en Espagne avec une mission précise : être un point de référence et d’organisation pour les anarchistes italiens de la Brigade Garibaldi. Pour ce faire, Cocciarelli dispose de deux couvertures : d’une part, son appartenance au mouvement du front unique, et à l’association des ex-combattants franco-italiens en France. La seconde était de dissimuler ses idées anarchistes en se faisant passer, quand il le pouvait, pour un membre du PC. Cette dernière tentative échoua : il fut sans doute découvert membre de la Fédération anarchiste italienne lorsqu’il refusa de se mobiliser contre une incursion (qui n’eut pas lieu) d’anarchistes contre la caserne nationale d’Albacete où les Brigades internationales avaient leur quartier général (octobre 1936). Puis, il devint ouvertement un propagandiste anarchiste actif au sein des volontaires italiens. Compte tenu de la politique de front unique et ne soupçonnant pas chez Cocciarelli un élément malhonnête, nos camarades lui ont donné la possibilité de travailler honnêtement pour la cause de l’antifascisme. Il est nommé lieutenant et se voit confier la section téléphonique du Bataillon Garibaldi. Cocciarelli voit dans cette largesse une faiblesse de la part des communistes et en profite pour faire du prosélytisme (ce qui n’est pas à blâmer), pour perturber et créer du mécontentement contre la direction des Brigades et du Bataillon lui-même. Il y avait des communistes comme Antonio Visentin de Gorizia, qui a porté des accusations contre la direction politique et militaire du bataillon. La section téléphonique, grâce au travail de Cocciarelli, devient progressivement un refuge pour les mécontents et les désorganisateurs du bataillon. Le travail de Cocciarelli a été plus difficile à combattre en raison de ses bonnes qualités professionnelles dont il a fait preuve et de son courage au front. Envoyé en permission à Barcelone, Cocciarelli en profite pour se rendre en France sans congé, aidé par les organisations anarchistes de Port-Bou, Perpignan et Paris. Il rentre en Espagne à la fin du mois de juillet avec 10 à 15 jours de retard.
La Brigade le renvoie à Barcelone comme un élément indésirable pour le travail démoralisant et défaitiste qu’il a entrepris auprès des volontaires. Selon la Brigade, Cocciarelli devait être rapatrié en France. A Barcelone, les liens de Cocciarelli avec des éléments de la L.I.D.U, des socialistes et des anarchistes font l’objet d’un examen minutieux de la part du S.I.M, car ils organisaient la désertion de nombreux volontaires et défendaient les déserteurs contre les autorités républicaines. Dans la maison où Cocciarelli s’est réfugié, la police découvre des déserteurs. Les liens de Cocciarelli avec des éléments fabriquant de faux documents ont amené le S.I.M à le dénoncer - il fera 16 mois de prison- comme étant lié à la cinquième colonne et soupçonné d’espionnage. Le fait que Cocciarelli ait organisé, avec d’autres, la désertion de volontaires est prouvé par une lettre de l’Union anarchiste italienne, qui affirme que Cocciarelli n’est coupable que d’avoir "porté secours à des camarades qui voulaient quitter l’Espagne parce qu’ils ne supportaient pas la dictature communiste". Cocciarelli fut acquitté pour insuffisance de preuves de l’accusation d’espionnage, et il rentra en France en février 1939 au moment de l’évacuation de la Catalogne. Au camp de concentration de Gurs, comme on pouvait s’y attendre, Cocciarelli rejoint la neuvième compagnie. Il défendit également la position du casadiste* Pacciardi, comme on pouvait s’y attendre. Cocciarelli est un élément ennemi, dont l’inimitié ne doit pas seulement être fondée sur des idées différentes. Et la suspicion quant à son honnêteté est légitime."

note * Segismundo Casado, militaire espagnol. Loyal à la République durant la Guerre d’Espagne, le colonel Casado est l’auteur, début mars 1939, d’un putsch interne au camp républicain alors dirigé par Negrín en vue de négocier les conditions d’une reddition honorable. https://fr.wikipedia.org/wiki/Segismundo_Casado

Les Giménologues 12 août 2024


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