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Notice biographique sur Giuditta Zanella

Du nouveau sur “la Giuditta” évoquée par Antoine Gimenez [1]

Dans l’édition italienne des Souvenirs d’Antoine Gimenez [2], Gianpiero Bottinelli avait émis une hypothèse quant à l’identité de cette anarchiste italienne :

« Il s’agit très probablement de Giuditta Simonetti, née à Castellier d’Istria le 27 octobre 1892. Comme ses sœurs Maria, Elena, et Eugenia (Lina) elle participe au mouvement anarchiste en Italie, en Espagne ou aux USA. Présente dans la lutte contre le fascisme en Italie, elle émigre en France à la fin des années 1920 où elle rencontre Francisco Ferrer, et c’est ensemble qu’ils rejoignent l’Espagne en juillet 1936 et s’enrôlent comme miliciens dans le Groupe International de la colonne Durruti ».

Giuditta Zanella et Ilario Margarita
Tobia Imperato. Collection privée

Grâce aux derniers éléments fournis par Tobia Imperato de Turin [3], que nous remercions bien chaleureusement, Giuditta est maintenant identifiée.
Il s’agit de Zanella Giuditta Maria, fille de Liberale et de Carrieri Letizia, née a Barzola (Varese) le 26 avril 1885, selon la fiche signalétique du 10 novembre 1920 que la Préfecture de Turin envoya au ministère de l’Intérieur italien. Giuditta est à cette date fichée comme anarchiste, associée depuis plusieurs années aux activités d’un autre militant connu : Ilario Margarita.

Sur la fiche, il est écrit dans la rubrique « Conduite politique » que Giuditta a appartenu au parti socialiste avant d’être anarchiste, qu’elle est en contact avec le journal Le Réveil de Genève ; qu’elle mène une active et efficace propagande parmi les ouvrières ; qu’elle a participé à des manifestations « subversives » et qu’elle a été arrêtée à cause de son « caractère rebelle » en 1915.

Au cours des années vingt, Giuditta vit avec Ilario dans la clandestinité en France, en Belgique, à Cuba et aux USA.
Ils sont tous deux arrêtés à Barcelone en juillet 1932 et expulsés vers la France le 20 septembre pour « réunions anarchistes clandestines ». Mais ils reviendront aussitôt en Espagne, et ils ne la quitteront plus jusqu’en 1939.
Un document de la police politique italienne, en date du 11 mars 1935, signale que Giuditta réside (sous une fausse identité) à Barcelone, « chez Ferrer, au 104 de la rue Galileo Ganse ».
Un autre rapport de la même origine, en date du premier mai 1935, signale :
« Il apparaît que la Zanella n’est plus au numéro 104 de la rue Galileo à Barcelone, pas plus le Ferrer. La Zanella et le Margarita vivaient au 104 de la rue Galileo chez ledit Ferrer depuis une paire d’années quand ils furent arrêtés. Un mois après l’arrestation, Ferrer et sa femme quittèrent cette maison et partirent vers une destination inconnue. Actuellement ni Ferrer ni Margarita Ilario, ni la Zanella ne vivent à cette adresse. (…) On a recherché la Zanella et le Margarita sans succès. Dans la mouvance anarchiste, on dit qu’ils seraient en Catalogne, mais dans un endroit assez loin de Barcelone. (…) La police espagnole les recherche aussi activement [4] ».

En juillet 1936, ils participent tous deux à l’insurrection populaire de juillet 1936 à Barcelone. Ils partent ensuite combattre sur le front d’Aragon, comme cela est relaté dans l’article de Guerra di classe [5].
Cet extrait des mémoires non publiées d’Ilario Margarita, transmis par Tobia, apporte quelques précisions :
“ … sempre clandestinamente ritornammo a Barcellona, prendendo parte all’insurrezione del 19 luglio 1936 contro Franco ; quindi arruolatisi volontariamente dai primi giorni della guerra antifascista io nella 2° colonna Hortis (sic) di fronte a Belchite e la mia compagna nella colonna Durruti di fronte a Saragozza…”

Le Ministère de l’Intérieur italien est muet sur l’activité de Giuditta durant la révolution espagnole.
Son nom apparaît dans une note du 15 sept 1939 avec celui de Ida Caronni et de Lina Franchi [6] comme résidant en France, à St Clément en Corrèze

Giuditta Zanella est morte à Turin en 1962. Un article nécrologique est publié dans le journal Seme Anarchico d’août-septembre 1962. Elle était toujours la compagne d’Ilario.

Ainsi la date de naissance de Giuditta Zanella et son parcours de militante coïncident-ils bien avec ce qu’écrivait Antoine, mis à part le fait qu’elle était la compagne de Ilario Margarita et non celle de Francisco Ferrer.
Tobia Imperato s’est entretenu au début années soixante-dix avec Ilario Margarita, mort en 1974, et il nous écrit dans un courrier : “J’ai connu son camarade de vie qui m’avait parlé de l’assassinat du petit-fils de Ferrer et j’ai dans mes papiers une photo de celui-ci appartenant à Ilario. (…)Dans ma jeunesse j’ai beaucoup de fois vu cette photo dans le local des vieux anarchistes de Turin où il y avait une grande reproduction au mur. » [7]

Francisco Ferrer, petit-fils du pédagogue du même nom
Tobia Imperato. Collection privée

Au dos de la photo sont écrits ces mots : Al piccolo e caro amico. La grande amica Giuditta.


Rappel de l’entretien avec “ Yudith ” publié dans Guerra di Classe n° 22, an II, 19 juillet 1937


« Celle qui nous parle est une anarchiste italienne. Elle appartient aux premiers volontaires qui suivirent Durruti en Aragon. Elle lutta plusieurs mois durant contre l’armée de Franco, dans les tranchées, fusil à la main. Au cours d’un certain épisode de la guerre, elle fut parmi les trois seuls rescapés de son bataillon. Nous ne donnons pas son nom. Elle est une femme anarchiste ! Nous indiquerons son pseudonyme : “ Yudith ”. »

Dans la suite de l’entretien avec Giuditta, nous apprenons comment fut assassiné Francisco Ferrer :
(…)
Nous voudrions maintenant savoir de ta bouche comment fut achevé Francisco, le petit-fils de Francisco Ferrer y Guardia. Nous savons que tu le connaissais.
Elle répond :
« En fait, je fus longtemps pour lui comme une mère. J’ai 52 ans. Nous sommes partis ensemble avec Durruti, en juillet 1936. Il était, comme le grand-père, bon et généreux. Francisco était né à Paris en 1909. À la chute de la monarchie des Bourbons, il est accouru en Espagne. Il voyait poindre la révolution sociale… Il aurait pu demeurer à Barcelone, quand survint la trahison militaro-fasciste. Il souffrait d’une affection cardiaque, et il possédait en outre un certificat d’inaptitude totale au service militaire, à cause d’un accident du travail. Il partit au contraire avec Durruti et demanda à être admis dans le Groupe International d’Assaut, une des formations les plus héroïques.
Pourquoi se trouvait-il à Barcelone durant les événements de Mai ?
« Voilà : le 8 avril, il avait participé à l’action dite de l’Ermitage de Santa Quiteria. Il fut hospitalisé à Barcelone. Vers la fin avril, son état physique s’était amélioré, mais il devait se rendre quasi-journellement à l’hôpital pour suivre son traitement. Le jour du 5 mai, nous sortîmes ensemble. Dans la « calle » Paris, nous tombâmes sur un groupe de soldats, que je suppose communistes. Francisco endossait son uniforme de milicien et portait le revolver à la ceinture. Il avait avec lui un document qui l’autorisait, en sa qualité de membre du Groupe International d’Assaut, à circuler armé en n’importe quel endroit. Les inconnus, pointant leurs mousquetons, lui intimèrent l’ordre de remettre le revolver. Il refusa. Il protesta avec énergie en affirmant qu’il ne saurait se laisser désarmer, vu que l’arme lui était nécessaire pour lutter contre le fascisme. Il fut l’objet de la brutalité des agresseurs qui, avec des menaces et des insultes de toutes sortes, le forcèrent à présenter ses papiers. Quand Francisco leur montra la carte de la CNT, une voix hurla : « Tuez-le ! »… Il ne lui fut pas accordé le temps de se défendre. Il fut jeté contre un mur, et les bandits, à quelques pas de distance, firent feu simultanément sur lui. »
Notre compagne fait une pause… Elle se passe une main sur le front. Elle a dans les yeux l’affreuse vision :
« Son agonie dura 24 heures. Elle fut atroce. Je fus légèrement blessée à un bras. »
Nous lui demandons : savaient-ils qu’ils tuaient le petit-fils de Ferrer y Guardia et qu’ils commettaient le même crime que celui qui avait frappé la monarchie d’infâmie ?
« Je ne sais. Ils savaient qu’il s’agissait d’un militant de la CNT, d’un volontaire de Durruti. C’était suffisant pour l’assassiner ! »

Notre compagne, qui vécut les combats du prolétariat italien dans les années 1919-1922, qui connut l’épopée du 19 juillet à Barcelone, qui vit la mort en face dans les tranchées d’Aragon, est accablée de tristesse. Nous éprouvons avec émotion la peine qui dans ces moments torture, comme le sien, le cœur des révolutionnaires.
(…)
Nous avons lu dans « Fragua Social » de Valence, du 6 juillet, une fière lettre de Trinidad Ferrer, la fille du martyr de l’École Moderne. Et une autre d’accusation contre le ministre de l’Instruction Publique du gouvernement de « Front Populaire », lequel tente de lui refuser une pension qui lui est légalement consentie en sa qualité de descendante d’un enseignant…
« La tragédie de cette femme — observe notre interlocutrice — est des plus émouvante. La monarchie des Bourbons lui fusilla le père. Et les brigands rouges de la contre-révolution lui ont fusillé le fils. »

Cf. Guerra di classe, N° 22, an II. 19 juillet 1937.


L’enterrement de Francisco Ferrer à Barcelone, selon le témoignage du Suisse Edi Gmür .

« 7 mai 37
Nous partons de la caserne pour l’hôpital, pour rendre les derniers honneurs au général Francisco Ferrer. Il a été tué par la Guardia, parce qu’il ne voulait pas se laisser désarmer. Il était encore blessé depuis Santa Quiteria. C’était un bon camarade. À la morgue de l’hôpital, nous avons d’abord dû chercher son cadavre. Une puanteur terrible faisait retenir son souffle. Grande halle pleine de cadavres, serrés comme des sardines dans une boîte. Plusieurs ont le ventre gonflé, le visage souriant, d’autres sont repliés sur eux-mêmes, les orbites vides, les joues desséchées. Combien de victimes coûtera encore cette révolution ? Nous accompagnons le corbillard jusqu’au cimetière. Dix-huit autres corbillards nous dépassent, allant au trot, sans compagnie ni couronnes. Victimes anonymes de la Révolution. »

Extrait de : Pour le bien de la révolution. Albert Minnig. Edi Gmür. Cira, Lausanne, 2006.


Les Giménologues, octobre 2008


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