Joan Misser est un Catalan qui vit à Bailleul et qui participe à l’aide aux réfugiés sans papiers de cette région. Il suit avec intérêt nos recherches et correspond régulièrement avec nous.
Ce texte de 1979 intitulé : « Epilogue de la guerre civile (1936-1939) » correspond à un chapitre du manuscrit intitulé « Presencia española en el norte de Francia de 1922 a 1970 ». En voici un extrait concernant l’arrivée des Espagnols en 1939 (traduit par nos soins) :
« Dans l’ultime étape de notre guerre civile, à la fin de la campagne de Catalogne, les premiers jours de février 1939 une foule bigarrée et en guenilles passait la frontière à La Junquera, Port-Bou et Puigcerdá, ou par d’autres secteurs sans routes mais néanmoins franchissables.
On estime à un demi million cette multitude de soldats, civils, femmes, enfants et vieillards qui arriva dans ces conditions ces jours-là.
En France on improvisa de monstrueux camps de concentration où se pressa cette foule entourée de barbelés, sans abri aucun en plein hiver.
(…) Il y eut des exilés qui trouvèrent refuge dans le Nord de la France ; peu, en comparaison avec les autres régions françaises comme le Sud ou la région parisienne. Quelques mairies tenues par les socialistes comme Hellemmes réclamèrent des républicains espagnols et leur donnèrent abri et travail avec la possibilité de s’installer et d’y refaire leur vie. Ainsi des familles se regroupèrent et il s’en forma d’autres. Ces chanceux étaient en particulier des membres de partis politiques, notamment du PSOE. Ce furent les seuls à maintenir un noyau qui leur permit, d’une certaine façon, de prolonger leur lutte, et à partir d’elle, leur affirmation espagnole.
D’autres réfugiés s’établirent dans la région en restant isolés ou avec très peu de contacts avec les autres. Pour beaucoup, l’amertume de la défaite avec toutes les illusions perdues les propulsa vers une rupture radicale avec le passé et avec tout ce qui pouvait le rappeler. Certains maintenaient des distances avec tous les autres, déjà du fait des idées proclamées, ou bien à cause de leurs origines régionales, ou encore à partir de sentiments de classe. Ce fut le cas des anarchistes comme Millàn de la Hoz, un Aragonais qui avait fait partie de la colonne Durruti, qui s’établit à La Madeleine et y fonda une famille. Ceci vaut comme simple exemple.
(…) Quand éclata la guerre mondiale en septembre 1939, un grand nombre de réfugiés était encore interné dans les camps de concentration (…). Beaucoup d’entre eux étaient des anarchistes ou bien de simples conscrits de l’armée républicaine. La plupart du temps les plus abandonnés étaient ceux qui avaient eu le moins de responsabilité dans le conflit.
Avec l’entrée en guerre les autorités françaises s’empressèrent de vider les camps du Sud de la France, les réservant maintenant aux réfugiés allemands ou italiens, persécutés dans leur propre pays. On créa alors les Compagnies de Travailleurs destinées à la construction de fortifications et autres infrastructures exigées par les circonstances de la guerre. Auparavant, on avait facilité la sortie des camps aux volontaires qui se présentaient pour constituer des unités similaires destinées à l’Algérie afin de construire dans les pires conditions une ligne ferroviaire trans-saharienne. Plusieurs de ces unités furent envoyées en Savoie ou dans le Dauphiné, près de la frontière italienne, et d’autres plus tard dans le Nord de la France.
Le 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la Hollande, la Belgique et le Luxembourg. (…) La rapide avance allemande par la vallée de la Somme encercla le gros des armées alliées. C’est alors que certaines Compagnies de Travailleurs tombèrent prisonnières de l’armée allemande, tandis que d’autres le furent dans la poche de Dunkerque les premiers jours de juin.
Aussitôt ces Espagnols, considérés comme intégrés dans l’armée ennemie, furent enfermés comme tels dans les Stalags. Quelques chevronnés dont beaucoup d’Espagnols s’évadèrent dans la confusion, bien que certains soient à nouveaux arrêtés par les Allemands, voire dénoncés par des Français. Dans ces conditions, rares furent ceux qui réussirent à passer les cinq ans de la guerre cachés parmi la population locale. Ce fut le cas de José Pedroche, né à Noblejas (Tolède) qui put s’échapper et se réfugier dans un petit village des Flandres où les habitants le protégèrent, avec la tacite connivence des gendarmes. Ce ne fut pas toujours par générosité, car quelques paysans trouvèrent en lui un journalier qui ne leur coûtait que l’entretien et le gîte.
On peut voir […] une liste [1] d’Espagnols incorporés dans les Compagnies de Travailleurs et capturés dans la région. On constate qu’ils furent plus tard sortis des Stalags pour être transférés dans les camps de concentration (pour ne pas dire d’extermination) en tant que prisonniers politiques. On déduit de cette liste que beaucoup rentrèrent à la fin de la guerre mais on ne sait pas où ils vécurent ensuite, du fait de la confusion dans laquelle se produisit ce retour collectif. Sans doute que la plupart s’établirent dans d’autres régions françaises, sans que l’on puisse écarter l’éventuel retour de certains dans la mère patrie. Six d’entre eux moururent dans les camps de concentration. »
Traduction, retranscription et note : les giménologues 19 mars 2010.