Le 21 octobre 2009, les Giménologues ont eu la surprise de se voir contactés par le fils d’Isidro Benet, ancien miliciano espagnol du Groupe International de la colonne Durruti :
Bonjour,
Je voudrais vous signaler que mon père de 93 ans a combattu sur le front d’Aragon en 1936 au sein du Groupe International de la colonne Durruti. Il a fait partie des premiers à entrer dans Siétamo et il a combattu à Perdiguera, Farlete, Pina, etc. Il a lu le livre d’Antoine Gimenez [la première édition espagnole, sans notre appareil de notes] et bien qu’il soit globalement d’accord, il diffère sur certains points concrets concernant des batailles. On peut le voir dans un film [Los Aguiluchos de la FAI en la tierras de Aragón, n° 3] en train de donner des coups de pics sur un mur afin d’entrer dans Siétamo en progressant de maison en maison. Si vous êtes intéressés par le contact avec lui, nous vivons à Valencia.
Salut
César Benet
Aussi sec, nous avons pris contact avec Isidro. Un chaleureux et intéressant dialogue s’est noué avec lui par téléphone et par internet durant des mois
Nous allons rencontrer Isidro début mai sur les lieux mêmes où stationnait le groupe international, et au retour nous placerons sur notre site la retranscription de ses souvenirs tels qu’il nous les a racontés. Nous reviendrons ainsi grâce à lui sur maints passages du récit d’Antoine, en particulier sur les batailles de Siétamo et de Perdiguera.
Nous y joindrons d’ailleurs de nouveaux témoignages d’habitants de Perdiguera, transmis avec une extrême gentillesse par l’un d’entre eux, Costán, rencontré lors de notre passage en Aragon en mai 2010.
Il nous a appris à cette occasion que quelques mois auparavant (en été 2008 ?) trois jeunes gens étaient venus sur les lieux du récit d’Antoine, Les Fils de la nuit à la main, histoire de se rendre compte sur place.
Costán les a guidés dans la visite du pajar et du site de la bataille où périrent une cinquantaine de membres du groupe international ; puis il les a accompagnés sur les restes de fortifications du Monte Oscuro, et ils ont passé la nuit là-bas, dans une grotte.
Deux d’entre nous ont fait un peu le même cheminement, il y a près de vingt ans, dans les montagnes au-dessus de Huesca avec L’hommage à la Catalogne ouvert…
À des lieues de la « ruta Orwell », aménagée récemment par les nouveaux professionnels de la commémoration et de la « glaciation historique du temps capitaliste », on peut mesurer combien Antoine et George ont réussi à rendre prégnantes ad eternam ces situations où des hommes prenaient en Espagne leur histoire à bras le corps.
Retournons donc sur les traces des hommes et des femmes du Groupe International à Farlete, en compagnie d’Isidro.
La plaine de Farlete
Le texte entre crochets est le fait des Giménologues.
Il y avait deux centuries de la colonne Durruti qui résistaient à l’offensive des nationaux à Farlete [1]].
Ils étaient en train de perdre du terrain pendant l’assaut de la cavalerie maure quand le groupe international arriva pour les aider. J’étais à Pina avec mes compagnons quand on nous a dit de monter rapidement dans des camions qui nous ont transportés à Farlete. Les soldats ne savent jamais où on les envoie. Nous fûmes bombardés durant le trajet et arrivâmes au moment où la cavalerie attaquait.
Nous eûmes juste le temps de nous jeter au sol et de prendre position. À nôtre arrivée, un capitaine de l’armée française [Louis Berthomieu], grand, très courageux, nous dit : « Tous au sol, ne tirez pas avant que je vous donne la hauteur de tir ! » En fonction de l’approche de la cavalerie, il indiquait à quelle hauteur régler les fusils pour pouvoir effectuer des tirs efficaces adaptés à la distance qui nous séparait de l’ennemi. Ce Français parlait espagnol ; il avait un colt avec une grande fausse crosse [un colt 44 américain ?] et restait debout pendant les combats.
J’étais près d’un des deux fusils mitrailleurs (celui de droite) qui tiraient en éventail sur la plaine où gisaient de nombreux Maures et des chevaux morts. Tout à coup, un cheval, avec son cavalier maure, le pied pris dans l’étrier, nous passa au-dessus de la tête. Je vis que le milicien qui tirait était mort (ou au moins blessé) et je le remplaçai au fusil mitrailleur. Je tirais, mon ami Félix Bonells fournissait les munitions, et mon autre ami Salvador Frasquet, allongé au sol, maintenait les pieds du fusil mitrailleur.
La bataille se déroula près d’un embalse [2] situé près de la route A 1104, à un peu plus d’un kilomètre de Farlete, près d’un endroit où il y a aujourd’hui un bassin d’irrigation circulaire. On peut le voir sur la vue aérienne juste quand la A 1104 tourne à droite. Le groupe international se posta en laissant la route derrière lui et la cavalerie maure attaqua depuis le côté de Perdiguera.
Près du village mais en dehors, il y a une église [le sanctuaire de nuestra Señora de la Sabina ?] : là étaient les camions et l’artillerie républicaine. Cette dernière tirait depuis cette église à la cote 0, c’est-à-dire à une très courte distance.
Durant la bataille, un avion de transport, peut-être un Junkers trimoteur, passa au-dessus des Maures ; il n’avait pas d’emblème et c’est pourquoi on ne savait pas s’il était républicain ou franquiste. Il lâcha une seule bombe avec une grande précision sur la cavalerie maure.
C’est ainsi qu’on gagna la bataille et il se confirme que l’intervention du GI fut décisive.
À la fin, avec sept ou huit copains, on a suivi la route vers Monte Oscuro en empruntant une ravine, et nous rencontrâmes des soldats en retraite et des brancardiers sans blessés ; on les repéra parce que les brancardiers portaient les barres des brancards verticalement dans le dos et qu’on les voyait monter et descendre en fonction du cheminement des soldats dans le fond du ravin. On bavarda avec eux, sans doute pour transmettre des messages aux familles des deux côtés du front, mais soudain un soldat (phalangiste) me menaça de son fusil et tua un jeune milicien qui se trouvait derrière moi.
Fin du récit d’Isidro
Quand nous avions rédigé la note 25 des Fils de la nuit, nous ne connaissions pas la teneur des télégrammes franquistes(*) rendant compte de l’attaque des nacionales du 8 octobre 1936 sur Farlete.
On a pu lire dans le télégramme franquiste du 9 octobre 1936 (joint à notre article précédent) que le rapport du capitán de artillería Buenaventura Herrero minorait les pertes subies par ses troupes du fait de la résistance des colonnes anarchistes, et qu’il préférait attribuer la responsabilité des pertes à l’aviation ennemie.
Grâce à Isidro, nous apprenons que « l’aviation ennemie composée d’appareils dont trois trimoteurs qui (…) ont survolé nos forces en occasionnant une centaine de pertes dont 18 mortelles » ne se composait en réalité que d’un seul coucou qui jeta une seule bombe.
Nous pensons qu’il faut réviser également l’importance des forces engagées depuis Villamayor sur Farlete que nous avions décrites ainsi : « colonne mobile composée de 6000 hommes avec cavalerie, artillerie et tanks », car au vu du télégramme du 3 octobre 1936 signé du comandante de caballería, il est question de l’engagement dans le secteur de « 2600 hommes, soit tous les éléments disponibles de la région ».
La cavalerie certes était présente et ce sont les Maures et leurs chevaux qui payèrent visiblement le plus lourd tribut.
Il est peu probable que des tanks aient été utilisés car les deux centuries de la colonne Durruti (même renforcées par le grupo internacional de choque) n’auraient pu résister autant ; en tout cas, aucun protagoniste ne les a signalés.
Les Giménologues, 26 avril 2010