L’art de voler : un roman graphique d’Antonio Altarriba et Kim
Préférant mourir debout plutôt qu’à genoux, le 4 mai 2001, le père d’Antonio Altarriba, âgé de 90 ans, saute du quatrième étage de sa maison de retraite. Il peut ainsi voler librement…
Après plusieurs années de rédaction, Antonio Altarriba fait paraître en 2010 le récit de la vie de son père sous la forme d’un roman graphique mis en images par le dessinateur catalan Kim.
Antonio Altarriba père est né au début du XXe siècle à Peñaflor, un village d’Aragon. Il part chercher du travail en ville et rejoint ainsi les exploités soumis aux rigueurs de son temps : la dictature de Primo de Rivera, la chute de la monarchie, la Seconde république. Puis il participe aux côtés des anarchistes à la Révolution de 1936 et à la lutte contre les armées franquistes. Il va connaître ensuite l’exode, le camp de concentration de Saint-Cyprien-Plage, la Résistance. Il finira par rentrer en Espagne, s’ajoutant ainsi à la longue liste des humiliés et des vaincus…
À travers les aventures extraordinaires de cet homme ordinaire, Altarriba et Kim donnent une dimension universelle à la trajectoire d’Antonio Altarriba père qui refusera toujours d’abdiquer devant l’obscurantisme jusqu’à l’heure ultime où il pourra enfin voler sur les ailes de la justice et de la liberté.
Dès sa parution en Espagne, L’Art de voler a rencontré le succès. Il a reçu un prix prestigieux, le Premio Nacional de Cómic.
Antonio Altarriba est l’auteur de plusieurs livres dont Tintin et le Lotus rose. Il est aussi professeur de littérature française à l’Université du Pays Basque. Kim est connu pour ses caricatures satiriques fustigeant l’extrême droite.
Invitation rédigée par le CIRA.
« Difficile de résister à la tentation d’appeler ce livre un chef d’œuvre »
Extrait d’El Païs
En France (et en Belgique) un très bon accueil est aussi fait à « L’art de voler » au vu des nombreuses recensions écrites et radiophoniques (liste non-exhaustive en cours d’actualisation).
REVUE DE PRESSE
• CQFD Septembre 2011
• L’express du 24 mai 2011
Destin d’un paysan espagnol, à l’heure de la révolution
Par Pascal Ory (Lire)
• Libé 19 mai 2011
Requiem pour un enfant du peuple espagnol
Antonio Altarriba choisit le roman graphique pour raconter la vie de son père et le franquisme
Par PHILIPPE LANÇON
• Telerama n° 3200 du 14 mai 2011
L’Art de voler
Jean-Claude Loiseau
• Canard Enchaîné du 25 mai 2011
• Fluide Glacial n°420, juin 2011
« Une vie qui défile »
de Phil Casoar
L’Art de Voler, poignant récit graphique ibère, dans la lignée de Maus et Paracuellos.
Le vieux laisse ses pantoufles sur le rebord de la fenêtre du 4e étage de la maison de retraite, et saute. Ainsi commence L’Art de voler.
Dans ce dense roman graphique de 200 pages, Antonio Altarriba raconte la vie de son père, Antonio Altarriba senior (1910 - 2000). Il la raconte à la première personne du singulier, en se mettant dans la peau de son père, parce que désormais son géniteur suicidé vit en lui.
Pendant sa chute, Antonio Altarriba, âgé de 90 ans, voit défiler sa vie. Son enfance, dans un petit village maussade d’Aragon, Peñaflor : un monde rural mesquin, où les péquenots locaux bâtissent frénétiquement des murs pour protéger leurs maigres parcelles ; où, si l’on hait les riches, on se déteste encore plus entre pauvres. Fils de paysan, Antonio prend en grippe le sol ingrat qu’il doit labourer, les blés qu’il doit faucher à s’en rompre les reins.
Le garçon commence par s’évader par l’imagination, mais ça ne suffit pas. Pour fuir ce trou, ce qu’il faudrait, c’est une puissante voiture, comme la rutilante Hispano-Suiza que le riche propriétaire terrien Don Jacinto a offerte à son fils. Avec son meilleur pote, Basilio, qui rêve d’être mécanicien, Antonio bricole d’abord une bagnole en bois, puis une vraie voiture, qui roule – enfin, une seule fois, avant de se fracasser contre le premier mur venu. Du coup, Basilio vole l’Hispano du fils à papa, et se tue. Alors Antonio quitte à jamais le village maudit de Peñaflor.
À Saragosse, il décroche son permis de conduire, pile le jour où tombe la monarchie espagnole. Plongé dans ses rêves, Antonio n’avait pas pris garde aux convulsions qui agitaient son pays. À partir de la proclamation de la République, la grande histoire le rattrape. Antonio est séduit par les idées anarchistes, même si le recours à la violence lui déplait. 18 juillet 1936, la guerre civile éclate. Saragosse tombe aux mains des franquistes. En novembre, Antonio est incorporé dans un régiment qui part combattre les « rouges ». Une nuit où il est de garde, Antonio déserte et passe de l’autre côté. Il rejoint les anarchistes de la colonne Durruti.
Ici le roman d’apprentissage se transforme en roman picaresque : Antonio et trois miliciens de sa centurie se jurent amitié et fidélité, et scellent leur pacte en échangeant quatre alliances fondues avec le plomb de balles perdues. Le chef de leur colonne, Buenaventura Durruti, vient de mourir sur le front de Madrid. Vicente, un des trois amis d’Antonio, qui a assisté à Barcelone aux funérailles gigantesques du légendaire anarchiste, en rapporte une relique : les espadrilles de Durruti, garantie authentiques ! Ces espadrilles fétiches accompagneront les quatre mousquetaires de « l’alliance de plomb » à travers toutes leurs aventures.
Répugnant toujours à la violence, Antonio est devenu chauffeur et passe la guerre à transporter le courrier de ses camarades, puis des hommes dans un camion pendant la bataille de l’Ebre. Bientôt, ce sera la déroute, les camps d’internement, la deuxième guerre mondiale, les compagnies de travail, le maquis, la Libération. Hélas, Franco ne subira pas le sort d’Hitler et Mussolini : « Nous perdons toutes les guerres, même celle que nous gagnons », soupire, amer, un camarade d’Antonio. Dans la panade, Antonio tâte du marché noir à Marseille. Rattrapé par le mal du pays, il rentre en Espagne, l’échine basse, vivre les années grises du franquisme. Résignation, ruine financière, mésentente conjugale, dépression, et pour finir, la cage aseptisée de la maison de retraite. Après avoir été un vaincu de l’Histoire, Antonio finit en vaincu de la vie.
Grâce au talent d’Antonio Altarriba junior, à son empathie, ce qui pourrait n’être qu’une collection de souvenirs et d’anecdotes devient le roman d’une vie. La force de ce récit, c’est qu’il va au fond des choses, sans fausse pudeur, et transcende le sort individuel de son héros pour toucher à l’universel de notre pauvre condition d’humains.
Pourtant, à première vue, on pourrait craindre que le trait candide du dessinateur Kim, parfois un poil chargé, ne restreigne la puissance de la narration d’Altarriba. Mais non. Et le découpage alerte des cases porte bien l’histoire. On peut se demander pourquoi Altarriba a fait de l’histoire de son père un roman graphique, et non un roman tout court. Il s’en explique longuement dans la postface de l’édition française de L’Art de voler, soulignant notamment que « si l’on dispose de la documentation appropriée, les lieux du passé renaissent avec une grande véracité, animés par les personnages qui les habitent. » Mais ce qui a vraiment décidé Altarriba à écrire un scénario de BD, c’est « le choix d’un monologue intérieur comme fil conducteur de l’histoire » qui lui « ouvrait le jeu texte – image, si caractéristique de la bande dessinée. »
L’Art de voler, ou l’histoire d’un homme qui, toute sa vie, aura essayé de s’arracher à la pesanteur de l’existence.
PRÉSENTATIONS ET COMMENTAIRES SUR LE WEB
• Paperblog du 23 mai 2011
Un homme qui a tout vécu, sauf la vie dont il rêvait !
par Yvan Tilleuil
• La griffe noire
Cela faisait bien longtemps q’un album ne nous avez pas scotchés de cette maniére, au hasard d’une lecture intense et dense !!!! Un album qui, l’air de rien, marquera sans nul doute l’histoire de la BD mondiale !!!!
Source
• Utoplib
« Camarade Staline, embrasse mon cul »
par Daniel COUVREUR
et une vidéo de Polinomio Estudios(en espagnol)
Les Giménologues, 1er juin 2011