« Ma sœur, qui avait alors six ans m’a dit que j’étais né avec le cordon ombilical autour du cou et j’étais devenu tout bleu.
A 7 ans tu as découvert Barcelone, l’électricité et le goût des bananes.
Découvrir Barcelone, ce fut comme découvrir le paradis, pour nous vu que à Herrerias, nous vivions dans une grotte creusée sur le côté d’une colline. Nous devions aller chercher l’eau à la fontaine. Pour cuisiner, ma mère et ma sœur, devaient aller chercher du bois jusqu’à la forêt.
Nous marchions pieds nus. Pour le petit déjeuner, nous ne connaissions pas le lait, nous avions une tasse de café avec du pain. La première année de notre séjour dans cette capitale, j’allais à l’école de Pueblo Nuevo.
En mars 1923, ma chère mère mourût le 14 d’une gangrène de la matrice après avoir donné la vie à mon frère Félix.
À 11 ans tu t’es mis à travailler.
À 12 ans tu as vu ta sœur se marier à Vicente Hernandez, un ouvrier du port, surnommé « l’indien ».
Puis tu as travaillé dans une imprimerie, devenant typographe. C’est là que tu as adhéré à la CNT. Qui était au cœur d’une période d’effervescence sociale et politique. Et tu es resté fidèle à tes idées toute ta vie.
Tu t’intéressais à la culture au sein de l’association Faros et des jeunesses libertaires.
C’est en tant que militant qu’à 16 ans tu connus plusieurs fois la prison pour quelques semaines.
En 1936 tu t’engageas contre le fascisme, pour la révolution sociale, ce gigantesque espoir qui animait la classe ouvrière.
Tu devins officier de la République, sans renier tes idées de solidarité..
Ta sœur Ana perdit son mari sous les derniers bombardements fascistes sur Barcelone et elle dû affronter avec courage cette terrible période d’après guerre avec 3 enfants.
Puis tu t’exilas et connus les joies de l’accueil sur les plages françaises, à partager un pain de 2 kg à 25 ! Enfin tu exerças plusieurs métiers en relation avec l’agriculture. Ce qui te donnas, plus tard, le plaisir de cultiver un jardin.
Tu rencontras Joséphine Gasquez, notre maman qui devint ton épouse.
Puis tu rejoignis tes cousins à Tours, puis Paris, où naquît Orchidée morte à 8 mois.
Après ma naissance, vous avez décidé d’aller en Argentine.
Là-bas vous avez connu bien des difficultés mais la chaude solidarité d’autres exilés s’est exercée pour me sauver et Aurore est née.
Puis à l’instigation de ta sœur ANA tu es revenu a Barcelone, où tu as du refaire une période militaire pendant laquelle est née Montserrat, puis tu as exercé deux boulots pour nourrir ta famille. Enfin tu es revenu en France où François-Xavier est né.
Tu as continué à fréquenter tes amis de la CNT et notamment Juan de la Flor, ton meilleur ami. Tu a rédigé une autobiographie que j’ai mise en page et que Xavier m’a aidé à traduire.
Tu as été interviewé par tv3, un chaîne de télévision catalane.
Lorsque tu travaillais au noir, bien qu’étant responsable tu as refusé d’être mieux payé que tes compagnons. Tu aimais jardiner, bricoler, lire, discuter, mais aussi le football, les échecs, les dominos, nager. Tout cela malgré tes 60 heures de travail par semaine.
Je me souviens qu’enfant je dessinais les drapeaux de tous les pays. Quand j’ai dessiné le drapeau espagnol, tu t’es mis en colère, en disant que c’était là le drapeau de Franco et que le seul drapeau c’était celui de la république. Tu vois il est là, avec celui noir et rouge de la CNT.
Tu étais fier de la réussite de tes enfants, cela te rassurait . Tu aimais les enfants, tes petits enfants et tes arrières petits enfants. Construire une grande famille unie était une consolation après le terrible échec des illusions nées en 1936.
Merci pour tout ce que tu nous a donné avec une femme courageuse et admirable à tes côtés, surtout les valeurs de solidarité, d’entraide et d’amour. »
Texte lu par son fils aîné Hélios Lopez Gasquez, lors de la petite cérémonie du 29 décembre, avant que son corps soit donné à la science comme c’était sa volonté ainsi que celle de sa femme, avant lui.
Les écrits de Juan « Mémoires de ma vie » (Mémoires d’un ouvrier anarcho-syndicaliste dans l’Espagne du XX ème siècle) rédigés en 1995 seront bientôt publiés.
Les giménologues, 27 janvier 2012