Additif à la notice biographique sur
Joseph Gonzalo Posidio MERIDA RAFOLS [1]
de Joaquim Joseph MERIDA RAFOLS
Marseille, été 2013
Joseph au salon et son ami Domingo
À THUBANEAU
Perdu entre ma mère
Et un père étranger
Je me revois assis
Sur la pierre de cassis
Marchepied indolent
D’un salon de coiffure
Rendez-vous d’espagnols
Et d’arabes en errances
Recherchant,
Obstinément ;
Leurs racines laissées
Dans les plaines de l’Ebre
Dans des Barrios gothiques
Dans des fermes en Dordogne
Dans des bouges à Tunis
Dans des champs de maïs
Dans les camps d’Argelès
De Saint-Fons ou d’ailleurs
De Buchenwald peut être…
Je me revois plié
Sur le bout de granit
À l’entrée du salon
Que mon père tenait.
— Joseph coiffure – Hommes femmes —
De la lice de la pierre
Suffocant, j’admirais
Les jolies cuisses des filles
Assises elles aussi
Justes en face de moi
Aux marches de l’hôtel
Qui nous renvoyait l’âme ;
La mienne,
Celle des femmes,
Et des hommes tout autour.
Je revenais sur mes pas enfantins
Dans cette rue déserte
Bardée de galeries
Bordée d’anciens hôtels de passes
Ignorant leur histoire
Celle de mon père,
Des filles,
Des macs…
Rêves anéantis,
Laissés dans tous les ríos secos
Joseph coupé absent
Les oreilles des putes.
« J’aimerais bien avoir
un garçon comme lui »
Je voyais cette brune
Les jambes entrelacées
Je mangeai du regard
Cette improbable lune
J’ai voulu m’y plonger
Pour m’y tenir au chaud
Penaud et espérant
J’en rêvais dans mon coin
Planté dessous la caisse.
Ces femmes, cette femme
J’en rêve encore souvent
Suis-je seul… ?
Rendez-moi s’il vous plaît
Cette femme amorale
J’en suis sûr aujourd’hui qu’elle aimait les rêveurs !
Femme, femmes,
Mère, mères ;
Les rues en regorgeaient ;
Tapis Vert et Baignoir
Fallait avoir sa mère
Des bras alanguissants
Ou allures guerrières
Et choisir son passage
Entre ces filles crues.
Rue des Dominicaines
Ou Poids de la farine ?
Musarder anodin
Rue Longue des Capucins ;
Récollettes, Nationale
Ou rue Mission de France ?
Je cherchais.
Et j’entendais leur voix.
« Tu viens chéri ?
— C’est combien madame ?
— Tu verras, c’est pas cher,
je t’aimerais au moins
Pendant un bon quart d’heure… »
Yeux baissés ; j’attendais ;
J’entendais leur appel…
Pour deux sous, un moment….
Ne reste pas seul !
Et des solitudes qui se font peur !
L’humanité qui est là
Où on ne l’attend jamais !
Je paye pour ne pas être seul
J’achète du sentiment
Fugacement.
Un rayon vaporeux
Ne reste pas seul !
« Quel âge tu as ?
— Seize ans madame.
— Monte, je te rejoins, je voudrais pas me faire
Choper par les flics ! »
Merci, madame…
Qu’est devenue cette femme ?
Vendue par des joueurs de pokers menteurs ;
Menteurs !
Cette brune
Dakar ; Djibouti ; Ndjamena ; Abidjan ;
Seule avec sa vieille beauté ?
Mariée à son mac... ?
Cette blonde…
J’ai louvoyé longtemps
Dans ce quadrilatère
Empli de tous les mondes
Je tirais des bordées
Entre la terre et mère
Entre idées et père
Montant vers l’épicier acheter une boîte
Que nous allions manger
Entre hommes
Tous les deux
Tout seuls
Dans le salon
Vidé de toute espèce.
Je revois les coiffures
Et j’hume les parfums.
Ces femmes…
Ces femmes,
Ces putains c’étaient pas des salopes…
Mimi, Josy
Antoinette, Lili ;
ça défile dans la place
C’est pas pour de la mode
C’est pour gagner son pain
Sa croûte, son oseille.
C’est son truc,
Son turbin,
C’est son turf ;
Pour son tapin,
Que Mimi au salon
Vient se coiffer gratis.
« — Joseph, je me donne un petit coup de peigne !
— Vas-y, tu me paieras plus tard
quand t’auras dérouillé… »
Et lui le Catalan
En dehors parmi les en-dehors
Entouré et serré
Par d’autres Catalans
Le café d’un côté
Le bar à putes de l’autre
Noyé dans les Pedro
Francisco, Domingo,
Les Pepe, les José,
Qui n’en finissaient plus
De refaire leur histoire.
Tierra de sangre
Terre de sang !
Hombres de sangre
Hommes de sang ?
Je ne comprenais pas ces accents coléreux !
Perdus dans la fumée
Perdu entre deux êtres.
Ces histoires…
Hôtel Nord-Sud
Et Grand Hôtel ;
Du bar Moka
Au Poêlon
Du grand bar Pierre
Au Masséna
Des grands Bains-douches
À l’Arménien…
Books, putes, macs,
Epiciers ; coiffeurs ;
Marchands de fanfreluches
Marchands de falbalas
Marchands d’histoires ;
Seules ;
Qui restent,
Dans leurs champs
Dans leurs camps
Sur des parcelles de terres
Ou sur de vagues terrains
Plutôt que terrains vagues
Ou bien sur des trottoirs…
Je naviguais entre quatre fantômes de cinés
Roxy, Belsunce,
Noailles et Variétés
Dans cette spirale oscillante
Entre père et mère
Entre filles et femmes
Je pense à moi
Je pense au monde
Dans cette révolution absolue
Où chaque croisement est une épreuve.
Je godillais
Dans cette évaluation permanente.
Je descendais la rue Vincent Scotto
Laissant derrière moi
Des producteurs de normes
Des fabricants d’églises
Je cherchais un espace
Des voies ou des venelles
Des bancs pour discuter
Des filles ou une femme
Et sentir à nouveau
L’humeur de cette rue
Les cris de ses recoins
Le bruit de ces humains.
De ce carré infâme
De cette usine à vices
De toute cette gangue
Il ne reste plus rien.
Je revenais sur mes souvenirs de gosses,
Vacillant ;
Et j’ai vu
La stature filiforme
De Mimi la gagneuse
Au coin de Capucins
Et de Vincent Scotto.
Et sur cet angle
Dans cette parallèle :
« — Bonjour Mimi je suis le fils de Joseph, le coiffeur. »
— Joseph ; Ah oui, je me souviens. C’était un brave homme.... »
Joachim Mérida Rafols. Le 31 juillet 2013
Extrait du recueil
"À THUBANEAU ET AUTRES TEXTES"
Notes
Aujourd’hui il reste, des quatre cinémas :
– Le Variétés, situé en haut de la rue Vincent Scotto, à partir de la Canebière.
– Le Noailles près des Variétés a laissé place à une caserne de marins pompiers.
– Le Roxy se trouvait dans la rue Tapis Vert juste avant la « rue Longue » en montant cette rue à droite et en face de la rue de la Providence.
– Le Belsunce se trouvait sur « le cours » à droite en allant vers la rue Nationale juste avant la rue du Petit Saint Jean et après la rue du Relais, à quelques dizaines de mètres de l’Alcazar (Bibliothèque de Marseille à vocation régionale. BMVR).
– Le Masséna était le bar emblématique de ce bout de rue. Il se trouvait dans l’angle formé par la rue des Récollettes et la rue Thubaneau à droite en montant cette rue … Et les chansons qui allaient avec : "À la Bastille"… "Mon légionnaire" et au fil du temps les airs à la mode…
– Le café O’moka et le cabaret Le Club étaient tenus par des Catalans, chacun de part et d’autre du salon Joseph, 7 rue Thubaneau.
Je me souviens que Joseph ou l’un de ses compères me parlaient d’une plaque qui commémorait l’événement d’une des premières interprétations de l’hymne national français : La Marseillaise. Aujourd’hui, et à l’heure où sont écrites ces lignes, cette plaque se trouve entre le numéro 25 et 27 de la rue Thubaneau. J’ ai un très vague souvenir de cette plaque. Il me semble l’avoir lu à la hauteur de l’ancien boxing club marseillais qui lui était situé après la rue Longue en montant à gauche et avant la rue Mission de France.
Peut-être ai-je rêvé cet ancien emplacement ?
Mimi, Josy, Antoinette, Lili. Ces femmes-là ont existées. Je ne m’étend pas sur leurs organisations tarifaires ou morales ; je peux dire que, souvent, l’une d’entre elles, nous sachant seul, entre midi et deux, joseph et moi, venaient nous proposer le partage d’un repas.
Toutes n’étaient pas de cette trempe.
Antoinette était la référence de ce morceau de rue ; de la rue des Récollettes à la rue Longue. Ni maquerelle ; ni patronne ; rien.
Elle et ces chiens…
J’ai rencontré Mimi pour la dernière fois au début du mois mai 2009.
Rue des Dominicaines, Récollettes, Mission de France, du Petit Saint Jean ; le chemin de Saint Louis (rue Tapis Vert) ; le chemin des Pères de la Mission (rue Nationale) ; le quartier fût pendant des décennies le lieu d’implantation de congrégations religieuses.
On peut consulter à ce propos la documentation relative à la construction de la bibliothèque de l’ALCAZAR : le résultat des fouilles archéologiques après sa destruction, son environnement immédiat et finalement, de très près, l’histoire du quartier, en particulier dans la revue MARSEILLE N°204 du premier trimestre 2004. BMVR Niveau 3 (Patrimoine en Provence…)
C’était dans les années allant de 1960 à 1985 du XX siècle même si le retour, en référence à ce texte, c’est effectué après l’année 2009.