Pandora [1] de « convergence »
Article paru dans la revue Argelaga :
argelaga.wordpress.com
L’État souverainiste et ses véritables ennemis
L’arrestation de neuf anarchistes à Barcelone et à Manresa le 28 octobre passé, ainsi que la perquisition de plusieurs locaux sociaux et de domiciles, a été présentée comme la seconde phase de la dite « Opération Pandora », montage policier -judiciaire mis en place en décembre 2014.
Comme lors de la première opération, les sbires ont brandi la même accusation d’ « appartenance à une organisation criminelle à but terroriste » basée sur les mêmes « indices » aussi inconsistants, et avec le même résultat : la mise en liberté de tous, sauf un, retenu à cause de « l’apparition de son alias dans un document retrouvé dans un ordinateur confisqué pendant les perquisitions ».
La preuve, choisie pour donner un semblant de crédibilité à ce qui, sans le moindre doute, a été une véritable bidouille, ne peut pas être plus ridicule. On peut même se demander quelle est son utilité. C’est comme si les dirigeants de tout poil, craignant l’écroulement prochain de leur monde – quel dommage qu’ils soient les seuls à le penser ! –, s’empressaient de le défendre avec la première chose qui leur tombe sous la main.
De toute évidence, même sous le règne autocratique du capital, et malgré la faiblesse de la contestation, l’État se considère vulnérable ; et pour masquer ses points faibles face aux attaques des irréductibles de sa population, il a besoin de s’assurer l’absolue obéissance de ses sujets, ce qui l’amène à fabriquer un ennemi intérieur face auquel son incapacité, son arbitraire et sa corruption passent au second plan.
Le Pouvoir fabrique des terroristes imaginaires qui rêvent d’attentats contre des églises et des distributeurs automatiques afin de « déstabiliser l’État et d’altérer gravement la paix publique » sans crainte d’être contredit, car sa parole occupe tout l’espace médiatique. Le discours d’ordre n’autorise pas la réplique, ce n’est pas pour rien que les moyens sont les moyens du système : et c’est ainsi que l’incohérence du montage ne semble pas poser de problèmes aux dominants. La logique naît dans le dialogue social, la véritable information et le libre débat, et les conditions actuelles de communication unilatérale ne le permettent pas. Et les lois d’exception comme la Loi Mordaza en rajouteraient au niveau de la désinformation s’il le fallait. Par conséquent la Raison d’Etat peut se présenter sans problème comme « lutte contre le terrorisme » et « défense de la démocratie ».
L’invention d’une organisation terroriste afin de criminaliser toute opposition déterminée est une pratique grossière typique des États modernes. Sa pathétique incongruité ne fait que révéler l’incapacité des stratèges du pouvoir – les espagnols en particulier – à élaborer des montages bricolés avec très peu de crédibilité dans le cadre de la propagande en faveur de l’establishment.
Cependant la nouveauté ne réside pas dans le manque de consistance du stratagème, mais dans celui qui l’opère. En effet, loin de se limiter à observer les mandats de l’Audience Nationale, le Govern de la Generalitat a été en réalité le véritable responsable de la farce « Pandora ». Le projet et l’impulsion de l’Opération Pandora ne sont pas partis des soutes de l’État central mais de la Comissaria General d’Informació dels Mossos d’Esquadra et de la Conselleria d’Interior del Govern [Conseil Régional de l’Intérieur]. L’insoutenable figure du terroriste « insurrectionniste » est l’oeuvre inégalable du parti Convergéncia Democrática de Catalunya, visiblement immergé avec l’État espagnol dans « le processus de déconnexion démocratique ».
Le juge de l’Audiencia Nacional n’a ordonné aucune perquisition ni arrestation, mais il a simplement autorisé la police catalane à y procéder. Ce sont les Mossos qui ont fourni des listes et des données, et qui ont même cherché à étendre le secret de l’instruction et à prolonger la prison préventive des détenus afin de fabriquer des preuves qui soient en relation avec l’explosion d’artefacts artisanaux. Le mandat de l’Audiencia ne faisait que couvrir une opération préparée dans le bâtiment Egara de Sabadell, le quartier général de la police de la Generalitat.
Alors que le « parti de l’innocence » – la CUP [Candidatura d’Unitat Popular] – reprochait au président Mas, son obéissance aux impératifs de la justice d’État, la Conselleria d’Interior, la véritable instigatrice de l’opération, appliquait ses plans comme prévu.
Ce que la CUP pétrie de sentimentalisme national ne pourra jamais comprendre c’est que « la répression des mouvements populaires » n’est que le premier pas de la construction de la république catalane, car le processus est dirigé par un parti représentant des intérêts financiers, patronaux et commerçants. Pour garantir « un nouveau cadre économique » de ce calibre, la répression est indispensable, car en matière de contrôle, un État débutant se doit d’adopter la même pratique, voire plus énergique encore, que celle des Etats consolidés.
Les vrais ennemis de la Generalitat ne sont donc pas les partis pro-Espagnols, et encore moins Madrid. Les véritables ennemis sont ceux qui ternissent l’image idyllique du « peuple » catalan réclamant pacifiquement et démocratiquement leur indépendance. Ce sont les réfractaires à la farce électorale qui dénoncent l’acharnement punitif contre les deux syndicalistes [Laura et Eva, de la CGT] ,accusées d’avoir mis le feu à une boîte en carton devant les portes de la Bourse de Barcelone. Ceux qui croient que la soi-disante « déconnexion » a un rapport avec la prolongation de la détention provisoire de Francisco et Monica. Ce sont les contestataires qui protestent contre la précarité, les coupes, la construction des lignes MAT [lignes à très haute tension] et de centrales éoliennes, contre les centres d’internement, les expulsions, la brutalité policière et le machisme. En bref les vrais ennemis de la Generalitat sont tous ceux qui ne se sentent pas représentés par les parlementaires, aussi nationalistes soient-ils, et qui aspirent à abolir l’État et le Capital, en Catalogne et partout ailleurs. Ce sont eux les responsables directs du ridicule institutionnel du « Parlament », et du fiasco répressif de Can Vies [2], chose impardonnable aux yeux de l’oligarchie politique locale.
Le montage Pandora n’est rien d’autre qu’une tentative pour criminaliser le véritable ennemi, avec la complicité d’un autre ennemi supposé, l’État espagnol. La Generalitat veut démontrer en même temps sa vocation répressive des anti-autoritaires, et sa volonté négociatrice avec les continuateurs du Tribunal de l’Ordre Public. Elle-même est née d’un pacte avec les héritiers de la Dictature et, par conséquent, du dit TOP. « L’affermissement du pouvoir de la citoyenneté catalane » à laquelle se réfère la déclaration préalable de Convergencia, Esquerra et CUP doit commencer avec la pacification totale de la scène sociale catalane, aussi bien dans le monde du travail que sur le territoire, la chasse à l’anarchiste étant son premier chapitre.
Si l’on veut réellement maintenir le spectacle de l’affrontement politique entre la « Catalunya » et l’État central, qui plaît tant au pouvoir, et aux philistins qui s’en délectent, si l’on prétend masquer le problème social-révolutionnaire avec le cirque nationaliste, alors on doit rendre invisibles tous les antagonismes sociaux. Mais les anarchistes et autres mauvaises herbes ne font pas l’affaire. Cela constitue un grave délit, et c’est pourquoi ils sont dans le collimateur de toute autorité.
Liberté pour tous les détenus !
Vive la Catalogne sans gouvernement !
(Traduction : Juliette)
Les Giménologues, 16 novembre 2015