Une charla « criminologique » aura lieu le mercredi 9 décembre
avec l’auteur du livre et deux comparses
Dans la foulée de nos articles précédents (sur la Ley Mordaza, « L’histoire d’une imposture »…) [1] nous allons sans doute être amenés à créer sur ce site une nouvelle rubrique intitulée : « Campagnes anti-anarchistes en Espagne, genèse et actualité. » Le matériel ne manque pas depuis les années trente : journalistes, romanciers, historiens se sont mis au diapason des successives menées étatiques de criminalisation des luttes sociales.
On assiste ainsi depuis une quinzaine d’années à une nouvelle stratégie de gangsterisation des anarchistes, notamment en Catalogne. Elle s’inscrit dans une longue tradition de dénigrement et de provocations démarrant à l’époque de l’Internationale et de la Fédération Régionale Espagnole, réactivée par la stratégie observée au début de la transition [2] , en passant par l’organisation de « paniques morales », où Josep Planes – auteur de « Les gangsters de Barcelone », une série d’articles parue dans La Publicitat en 1934 – joua le rôle principal.
Aujourd’hui des articles, des romans et nouvelles, des « livres-d’historiens-mais-pas-d’histoire », se prétendant basés sur des documents ou des faits historiquement attestés, se consacrent au parcours individuel d’hommes d’action et/ou destacados de la CNT-FAI des années trente, dont il s’agit de révéler la cruauté et la dangerosité spécifiques.
Le décor est bien installé maintenant, toujours prêt à servir quand il faut légitimer les opérations de style « Pandora » dirigées contre les Ateneos libertaires, encore et toujours présentés comme des « creusets du terrorisme ».
Nous n’avons pas encore en mains le dernier livre de Federico Vázquez Osuna, maître en criminologie à l’Université Autonome de Barcelone, mais le titre est prometteur : Anarchistes et bas-fonds. Pouvoir et criminalité en Catalogne (1931-1944). Si l’on en croit son préfacier, il traite de la « délinquance syndicale des années trente et de ses personnages les plus troubles ».
José María Mena, magistrat suprême du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne jusqu’en 2006, introduit l’ouvrage ainsi :
« Ce livre résulte du travail d’un historien, mais ce n’est pas un livre d’histoire. Ce n’est pas une nouvelle mais une cascade de brefs récits sur des vies de débauchés. »
Calé dans la posture républicaine (bien connue désormais) de la défense d’une « mémoire de l’éthique », et s’appuyant notamment sur Joan Peiró, Mena dénonce ni plus ni moins qu’« une espèce de négationnisme de gauche » ancré sur l’« oubli volontaire » du comportement de ces « idéalistes libertaires devenus des atracadores », entre 1931 et 1936. Ces « négationnistes », poursuit Mena, sont incapables de se confronter aux « faits historiques injustifiables » qui ont bien établi l’existence d’une « violence égoïste et criminelle qui s’est développée dans un scénario de confrontation sociale armée et de guerre civile ».
L’ancien magistrat convoque Lombroso et ses considérations sur « la violence létale compatible avec l’altruisme », ainsi que Luis Jiménez de Asúa, juriste et rédacteur socialiste de la constitution de 1931, qui a « étudié en tant que criminologue la figure de l’anarchiste comme assassin philanthrope ». Mais, précise Mena, cette typologie ne se présente jamais comme un « modèle pur », et il nous invite à bien discerner les « vrais anarchistes » des « faux » et des « vulgaires malfaiteurs ».
Puis, sans surprise, notre défenseur de la société conclut à l’existence d’une « dramatique pathologie de l’idéal libertaire » qui a dégénéré depuis 1931, au point de ne plus produire pendant la guerre civile que « des assassins et des voleurs impunis ».
Sur ce, Mena conclut en nous invitant à méditer pour aujourd’hui sur la question de « l’exercice illimité du pouvoir associé à la conscience de l’impunité ».
Dans la presse catalaniste Ara.cat, qui présente le livre, le titre de l’article est du même tonneau : « La face la plus criminelle de l’anarchisme ». Il fait allusion à la formule dont on a qualifié le cénétiste Joan Peiró – « La face la plus aimable de l’anarchisme » – pour avoir protesté dès les premiers mois de la guerre civile contre le recours à la violence à l’arrière-garde.
En parfaite connivence avec la droite oligarchique catalane et le parti Convergéncia Democrática de Catalunya, Ara s’inscrit ainsi dans la légitimation de l’opération anti-anarchiste « Pandora » menée depuis 2014 en Espagne, d’autant plus que sa deuxième phase a mis en évidence la responsabilité de la généralité de Catalogne dans le montage juridico-policier.
On peut penser que le soutien de ce journal au livre de Vázquez Osuna s’inscrit dans le misérable jeu d’alliances politiques en cours (CDC-ERC contre la CUP - Candidatura d’Unitat Popular) [3].
Les Giménologues, le 6 décembre 2015
Cet article est extrait de l’ouvrage giménologique à paraître au printemps chez L’Insomniaque :
¡ A Zaragoza o al charco ! 1936-1938. Récits de protagonistes libertaires et chroniques giménologiques. (sous-chapitre : Vers une « histoire poubelle » spécifiquement anti-libertaire).