Les fils de la nuit. Souvenirs de la guerre d’Espagne
réédité chez Libertalia [1]
Les doux dingues qui se sont embeguinés d’Antoine Gimenez continuent à entretenir la contagion et se payent luxe de publier successivement deux ouvrages en ce mois de mai qu’on souhaite aussi animé que le celui qui l’a précédé.
L’équipage de Libertalia a mis les petits plats dans les grands : il publie dans un coffret cartonné une nouvelle édition en deux volumes, revue, corrigée, enrichie et agrémentée d’un CD comprenant les 20 épisodes (dix heures) de notre feuilleton radiophonique réalisé en 2005. Les photos (anciennes et nouvelles) ont été agrandies et bien mises en valeur.
Couverture du coffret
Parmi les contaminés de la première heure, François Godicheau nous a fait l’amitié d’en rédiger la préface. Il a si bien saisi le processus des découvertes et questions, entraînant de nouvelles recherches et trouvailles…, ainsi que l’état d’esprit qui a présidé à la réalisation de ce livre, que nous le citons sans vergogne pour présenter les « Fils de la nuit » à ceux qui y ont échappé, il y dix ans :
« […] La forme de ce livre est ouverte, organisée finalement pour permettre la discussion : on trouve d’abord les souvenirs d’une personne, Antoine Gimenez, alias de Bruno Salvadori, souvenirs édités après avoir fait l’objet, de la main des mêmes Giménologues, nés à cette occasion, d’un feuilleton radiophonique. Ensuite, des notes sur ces souvenirs les déploient dans le temps de l’époque, convoquant d’autres personnes, des questions politiques précises, difficiles, des événements. Analyses historiques et textes divers, lettres, mémoires, extraits d’archives policières, de journaux, etc., se mêlent et multiplient les points de vue, projetant autour des souvenirs de Gimenez leur environnement de problèmes et de drames, restituant la contingence de ces moments, avec les noms et prénoms des multiples figures dans lesquelles elle s’incarne. Une troisième section, celle des notices biographiques, approfondit des portraits et permet de revenir sur certaines problématiques. On peut lire ce livre d’une traite ou aller et venir entre souvenirs et notes, et refaire un parcours, à l’invitation de la postface, laquelle a une grande importance car elle est un texte politique qui organise la discussion.
[…]
Ce livre […] invite le lecteur à rejoindre les auteurs dans leur jeu, non plus seulement comme passager, mais comme acteur à part entière. Les arcanes qu’ils entrouvrent sur le fonctionnement de l’organisation anarcho-syndicaliste espagnole dans les années trente sont une invitation à poursuivre leurs explorations ; les personnes et les personnages qui reprennent vie dans leurs pages en appellent d’autres, tous ceux-là qu’on aperçoit encore au fond de souvenirs familiaux ou lors de l’ouverture de fosses communes en Espagne. Bien d’autres enquêtes sont possibles, bien d’autres discussions. Possibles et nécessaires. »
Et pour ceux qui connaissent déjà notre bouquin, nous signalons quelques-unes des nouveautés :
Notre Antoine s’était un peu fait remarquer en France avant 1935 : on a trouvé dans le fonds dit de Moscou (aux Archives nationales de Pierrefitte) le dossier d’un certain Bruno Salvadori, éternel expulsable, qui joua à cache-cache avec la maréchaussée française entre 1930 et 1935, mais passa plus de temps à l’ombre qu’au soleil. Dans le dernier document du ministère de l’Intérieur, en date du 20 août 1935, on apprend que l’arsouille totalisait à cette date six condamnations, dont la dernière de quatre mois signifiée le 26 décembre 1934 à Perpignan pour « infraction au décret d’expulsion, violences et voies de fait ».
On a eu le grand plaisir de retrouver la famille Valero Labarta venue en nombre lors d’une charla mémorable à Pina en 2009. La salle des fêtes était pleine de Pineros et de villageois venus de Perdiguera et d’ailleurs. Il y eut une sacrée une ambiance, beaucoup d’attention et de participation, notamment quand nous parlâmes de la prise du pueblo par les miliciens en août 1936.
On en a appris plus sur Vicente, le frère de Félix [2] grâce à son petit-fils Ivan.
Vicenta s’en est allée en 2012.
Cette édition offre à lire le fameux « Journal de Mimosa » que Diego Camacho avait entrevu, il y a longtemps aux archives d’Amsterdam, et qu’Edouard Sill a fini par trouver. Grâce aux informations communiquées par Didier Pillon [3] à Eric Coulaud, nous savons maintenant que Georgette naquit le 16 août 1907 à Paris de Léontine Brivady et d’un père non dénommé. Sa mère se remaria avec un homme alcoolique et violent (auquel faisait allusion Antoine, en croyant qu’il s’agissait de l’époux de Mimosa). Dans son journal comme dans ses courriers transparaît le grand désarroi qui l’habitait, et qui l’accompagna en l’Espagne…
Et puis la surprise du chef : Isidro Benet, 93 ans nous contacte depuis Valencia en 2008, après avoir lu les souvenirs d’Antoine ! Il faisait partie du groupe international de la colonne Durruti. Et avec lui nous avons revisité les trois batailles décrites par Antoine, où il était aussi. En 2010, nous concrétisâmes les échanges avec une rencontre dont on n’aurait jamais osé rêver, à Perdiguera, avec la chaleureuse participation d’habitants. Le compte-rendu du récit d’Isidro est tellement important que nous n’en avons mis que quelques extraits dans la réédition (afin de ne pas la faire exploser – elle fait 1000 pages) et on la retrouvera dans son intégralité dans A Zaragoza o al charco !
Car il faut dire que les deux livres se complètent…et se renvoient l’un à l’autre.
Les Giménologues, 4 mai 2016.