HILARIO MURILLO CASTELREANAS,
Maire de PERDIGUERA membre de IZQUIERDA REPUBLICANA [1]
« Le souvenir le plus clair que je conserve c’est celui de cette matinée où ma famille, mon père Hilario, ma mère Carmen, mon frère Carlos, plus jeune que moi, et mon frère Benedicto, encore bébé, qui décèdera, quelque mois plus tard, s’est vue obligée de fuir Perdiguera, et que plusieurs personnes, surtout des femmes, en lançant des pierres sur la charrette que nous occupions, nous criaient : » Les Rouges dehors ! », au moment où nous passions au niveau du bassin des Fuengas. »
C’est ainsi que Jésus Murillo, le fils aîné d’Hilario et qui avait 5 ans à cette époque, commence son récit sur la façon dont ils ont dû partir de Perdiguera, au tout début de la guerre civile.
Quel délit avait bien pu commettre Hilario pour être obligé de fuir avec sa famille et les quelques affaires personnelles qui pouvaient tenir dans la charrette, laissant derrière lui, maison, terres, travail, mère et amis ? Le délit d’être à Perdiguera le Président du parti d’Izquierda Republicana, le délit d’être élu maire à la suite des élections gagnées par le Frente Popular en février 1936, et le délit d’être une personne engagée et militante qui cherchait le bien commun et la justice sociale.
Son fils Jésus poursuit son récit : « La précipitation et l’âge de ma grand-mère Estefania (62 ans), mère d’Hilario, contribuèrent à la décision que celle-ci resterait à Perdiguera. D’un autre côté il n’y avait rien à craindre de cette brave femme, chrétienne dévote qui se rendait à l’église tous les dimanches et jours de fêtes et qui en plus aidait à la propreté de l’église et aux autres tâches dont la paroisse avait besoin.
Cependant, lorsque la garde civile arriva avec, probablement, d’autres collaborateurs – dont les membres, dit-on, avaient l’habitude d’être saouls – elle fut conduite avec d’autres habitants aux abords du village, et fusillée. On les enterra tous dans une fosse commune derrière la maisonnette des cantonniers. Quelques années plus tard, la guerre déjà finie, les cadavres furent exhumés puis inhumés dans une tombe commune à l’entrée du cimetière de Perdiguera, où ils reposent actuellement.
Ce même jour nous arrivâmes à Peñaflor, où nous fûmes accueillis par des amis de mon père, qui vivaient à côté du canal d’irrigation. Je ne me souviens pas combien de temps nous y sommes restés et je ne sais pas pourquoi Hilario n’a pas poursuivi sa fuite, le fait est qu’un jour une voiture se présenta avec deux hommes qui emmenèrent mon père à Saragosse. Je me souviens avoir entendu Hilario raconter en certaines occasions qu’un de ceux qui conduisaient avait proposé : « Pourquoi est-ce qu’on ne lui tire pas deux balles et puis on le jette dans le fossé ? ». Heureusement le jugement de l’autre prévalut et il parvint à la prison de Torrero à Saragosse.
Ma mère et nous sommes également partis à la ville où une tante de ma mère nous offrit un toit au numéro 116 de la rue Coso.
Le destin sourit à Hilario car au passage du véhicule qui l’emmenait en prison par la rue Don Jaime il fut aperçu par Amalia Castelreanas – sa tante, du côté de sa mère - et par son mari depuis la loggia de sa maison. Le fils du couple, Santiago Cuenca, informé que son cousin Hilario se trouve en prison, fit valoir son influence et ses relations dans le gouvernement à Madrid et intercéda en sa faveur.
Bien que son cousin lui ait sauvé la vie, pendant plus ou moins un an que dura son incarcération à Torrero, Hilario aurait pu être exécuté à plusieurs reprises. Je me souviens que mon père racontait parfois qu’en prison, certains matins, les soldats arrivaient devant les cellules avec une liste de prisonniers à qui on avait décidé de rendre la liberté. Ensuite, ils découvrirent que ces personnes avaient été fusillées. De telle sorte que les fois suivantes, aucun prisonnier ne sortait quand il était appelé. Ce faisant le nombre de fusillés ne diminua pas puisque, sélectionnés pendant leur sommeil, les prisonniers étaient à la merci des soldats qui leur donnaient un coup de pied et les levaient pour ensuite les emmener « faire une promenade » jusqu’aux murs du cimetière.
Le souvenir le plus intense que j’ai du séjour de mon père à Torrero est celui où nous sommes allés le voir avec mon oncle Valero - frère de ma mère - qui revenait du front en permission (il fut recruté à Perdiguera par l’Armée nationale). Bien que grâce à lui, un traitement aimable nous fut dispensé, en partant, Hilario se pencha à une fenêtre pour nous dire au revoir avec un mouchoir : immédiatement les soldats qui étaient de surveillance, tirèrent une rafale de coups de feu en direction de la fenêtre où se trouvait mon père. Je n’oublierai pas ces semaines d’angoisse et d’incertitude que ma mère vécut jusqu’à l’arrivée d’une lettre d’Hilario.
Heureusement, il fut remis en liberté – je crois au bout d’un an plus ou moins – et nous déménageâmes pour vivre à la rue San Miguel.
Au début mon père commença à travailler avec la famille Cuenca. Ensuite il travailla avec « Los Mesaches », qui se chargeaient de faire le transport avec des mules et des charrettes depuis la gare du Norte. Finalement, avec Celedonio comme associé, ils ouvrirent une charbonnerie dans la rue de La Cadena.
Une fois la guerre finie, il retourna à Perdiguera puisqu’on lui rendait les terres confisquées. Pour ce qui est des écuries ce n’est pas la même chose. Apprenant qu’une table de grande valeur qu’il avait dans la cour était utilisée dans l’école, il la réclama. La dite table lui fut rendue après avoir été jetée par la fenêtre d’un étage supérieur de l’école ».
Dans une dernière réflexion, Jésus dit que son père a défendu jusqu’à sa mort ses idéaux et qu’il était (dans la mesure du possible) contre le dictateur. Il pense que s’il ne parlait pas des événements qui eurent lieu à cette époque ce fut en raison de la peur qu’il avait que l’on puisse nuire à sa famille, étant donné la dure expérience qu’il avait vécue.
J’ajoute à ce récit une photo d’Hilario, l’acte de sa prise de fonction de maire et celui de sa destitution, communiqué par le sergent du poste de Leciñena « par ordre supérieur ».
PS : je remercie Carlos Murillo, fils de Jésus et petit fils d’Hilario, qui me fit parvenir ce texte il y a quelques années, qu’il avait transcrit à partir du récit de son père.
Costan Escuer, Perdiguera
Traduction des Giménologues, 16 mars 2017.