Récapitulatif de ses travaux
Michael Seidman viendra présenter
Ouvriers contre le travail : Barcelone et Paris pendant les fronts populaires [1]
et ses autres ouvrages
le mercredi 9 mai 2018 à 19h à la librairie La Gryffe de Lyon
Michael Seidman est professeur d’Histoire à l’Université de Caroline du Nord, Wilmington (USA), spécialiste de l’Histoire contemporaine française et espagnole.Voici un petit aperçu de ses travaux publiés, le plus souvent en anglais et en espagnol.
Pendant longtemps la seule publication en français disponible contenant l’essentiel de sa démarche était la brochure d’Echanges et Mouvement parue en 2001 : « Pour une histoire de la résistance ouvrière au travail » [2] :
Extraits : L’absentéisme, l’indiscipline, et autres manifestations d’une aversion pour le travail préexistaient à la victoire du Front populaire en France et à l’éclatement de la guerre et de la révolution en Espagne, mais il est intéressant de noter que cette résistance persista après la prise du pouvoir politique et, à des niveaux différents, du pouvoir économique, dans ces deux pays, par les partis et les syndicats qui prétendaient représenter la classe ouvrière. En effet, tant dans la situation révolutionnaire que dans la situation réformiste, les partis et syndicats de gauche furent contraints de faire face à d’innombrables refus des ouvriers à travailler. La résistance ouvrière au travail au xxe siècle a été largement ignorée ou sous-estimée par les historiens marxistes du travail et les théoriciens de la modernisation - deux écoles de l’historiographie du travail importantes, sinon dominantes. Quoique opposées sur bon nombre de questions, toutes deux partagent une vision progressiste de l’histoire. La plupart des marxistes considèrent la classe ouvrière comme acquérant graduellement une conscience de classe, allant de l’an sich (en soi) au für sich (pour soi), se constituant en classe pour soi et ayant pour but final d’exproprier les moyens de production ; les théoriciens de la modernisation, eux, envisagent les travailleurs dans leur adaptation au rythme, à l’organisation et aux exigences générales de la société industrielle. Ni les marxistes ni les théoriciens de la modernisation n’ont suffisamment pris en compte les constantes de la culture de la classe ouvrière que révèle sa résistance opiniâtre au travail. En fait, ces conceptions progressistes de l’histoire de la classe ouvrière sont incapables d’appréhender correctement la permanence de l’absentéisme, du sabotage et de l’indifférence. Il n’est pas possible non plus de rejeter la résistance ouvrière au travail dans les deux situations, l’une révolutionnaire, l’autre réformiste, du second tiers du xxe siècle en la traitant de « primitive » ou d’exemple de « fausse conscience ». La persistance de multiples formes de refus du travail est certainement l’indice d’une réponse compréhensible aux difficultés sans fin de la vie quotidienne des ouvriers, et d’un sain scepticisme vis-à-vis des solutions proposées tant par la gauche que par la droite.
Dix ans après, pour accompagner la sortie du livre Ouvriers contre le travail en 2010, le même collectif publia une autre brochure : « L’étrange histoire de Ouvriers contre le travail. Les vicissitudes d’un livre. [3] »
Seidman y raconte comment il est issu d’une thèse du même titre achevée en 1882 à Amsterdam, suite à un séjour dans le Paris d’après 1968, où Seidman cotoya des ennemis du travail qui renouaient, à son sens, avec les mots d’ordre d’abolition du travail salarié du XIX° siècle. Il constata qu’un intérêt nouveau pour l’histoire du travail se faisait jour, et il y contribua à sa façon en s’attaquant à l’histoire de la résistance au travail. Il s’interrogea au passage sur la tension existant entre autogestion ouvrière et la demande sociale de biens de consommation.
Entre-temps Seidman avait publié un autre ouvrage [4], aussitôt traduit en espagnol : A ras de suelo. Historia social de la república durante la guerra civil, Alianza, 2003. À travers l’étude minutieuse d’archives de tous ordres, il chercha à retracer les expressions de loyauté des hommes et des femmes au sein de petits groupes, plutôt qu’à étudier des groupes plus étendus comme les partis et les syndicats, et ce d’autant plus que la syndicalisation était devenue obligatoire en Espagne après le 19 juillet 1936.
Contrairement à la plupart des historiens académiques, Seidman s’attache aux tensions entre individus et groupes. Il estime que « la faim et la fidélité à ses proches expliquent davantage les comportements humains que l’idéologie ou la culture de tel ou tel individu ». Il s’est ainsi penché sur les désertions/fraternisations sur le front, et sur les défections par opportunisme sur le front social.
Dans le même ordre d’idées, Seidman avait publié en 1992 un article traduit en français et présenté par Nicolas, du Cercle social. Il circule sur le net depuis 2002 sous le titre : « L’individualisme subversif des femmes à Barcelone pendant les années 1930 [5] » :
Extraits : Quand la révolution a éclaté à Barcelone en juillet 1936, les révolutionnaires ont eu besoin de toute l’aide et de l’appui qu’ils pourraient obtenir, aussi bien des travailleurs que des travailleuses qu’ils prétendaient représenter. À la radio et dans d’autres médias, les partis et syndicats ont fait des appels pour obtenir l’appui des femmes dans la lutte contre les nationalistes de Droite.
Nous savons que les femmes les plus célèbres de la période – la communiste, La Pasionaria, et l’anarcho-syndicaliste, Federica Montseny – ont travaillé de manière ardente et apparemment inlassable pour la victoire de la Gauche. Nous connaissons également bien les contributions des militantes des Mujeres Libres et d’autres organisations. Cependant, l’histoire de beaucoup d’autres femmes prolétaires est moins bien connue, et presque invisible. Une étude centrée sur elles change l’accent traditionnellement mis sur la militance collective dans la révolution espagnole. La plupart d’entre elles ont agi de manière ambivalente envers la cause et les révolutionnaires ont été forcés d’affronter l’individualisme des femmes, qui se sont identifiées seulement de manière marginale avec le projet social collectif de la Gauche. Peut-être même plus que leurs homologues masculins, ces femmes ont refusé de se sacrifier pour le bien de la lutte et ont défendu leurs besoins personnels, pas ceux de la république ou la révolution. La société révolutionnaire était incapable d’intégrer ces nombreuses femmes non-militantes qui ont défié sa discipline sociale. À cause de la recherche des identités collectives de classe et de genre, l’individualisme des femmes prolétariennes a été ignoré.
Au lieu de négliger ou de condamner le personnel, les historiens doivent essayer de comprendre comment l’exploration des variétés d’individualisme subversif – la résistance à la discipline sur le lieu de travail, l’opportunisme et la petite fraude – peut étendre les frontières de l’histoire sociale et aider à contribuer à une théorie de l’Etat.
L’individualisme féminin ne doit pas être identifié exclusivement avec le conservatisme et la réaction, l’échec des femmes à se sacrifier pour la révolution ne signifie pas qu’elles étaient pro-Franco ou qu’elle formaient une « cinquième colonne » féminine. En fait, les régimes autoritaires et fascistes ont également été forcés de s’y confronter et de contrôler l’individualisme subversif, mais sa persistance et sa croissance pendant la révolution à Barcelone suggèrent qu’un projet social fondé sur la propriété collective et la participation de l’ouvrier avait peu d’attrait pour beaucoup de femmes.Les deux derniers ouvrages de Seidman parus en espagnol et en anglais sont :
La victoria nacional. La eficacia contrarevolucionaria en la guerra civil (Alianza, 2012) [6]. L’auteur examine comment Franco et les nacionales administrèrent l’économie et obtinrent l’appui des élites et des classes moyennes pour remporter la victoire. Contrairement aux autres secteurs contre-révolutionnaires du XX° siècle, les franquistes arrivèrent à contenir l’inflation et limiter les pénuries alimentaires ce qui entraîna une certaine adhésion populaire en leur faveur. Alors que dans le secteur républicain, la gabegie et les demi-mesures, insatisfaisantes pour tous, firent plus pour la défaite de ce dernier que la supériorité militaire des franquistes.
Voir la note de lecture parue dans Echanges : http://mondialisme.org/spip.php?article1863
Antifascismos 1936-1945, la lucha contra el fascismo a ambos lados del Atlántico. Dans ce livre paru en 2018 en espagnol (chez Alianza editorial) avant de l’être en anglais, « l’auteur a collecté des faits, qui n’ont rien de secret, pour nous obliger à regarder ce que beaucoup refusent de voir : l’existence de deux types d’antifascismes entre le début des Fronts populaires en France et en Espagne et la fin de la deuxième guerre mondiale en Europe, que l’auteur définit comme « révolutionnaire » pour l’un, et « contre-révolutionnaire » ou « conservateur » pour l’autre. À rebours de la vulgate des antifascistes militants qui soutiennent que l’antifascisme serait uniquement de gauche et l’antifascisme conservateur un oxymore.
Pendant la guerre civile en Espagne, entre 1936 et 1939, l’antifascisme « révolutionnaire » a tenu le haut du pavé, « tout au moins dans les pays avec une bourgeoisie faible comme l’Espagne ». Il identifiait les fascismes italien et allemand avec le capitalisme et même toute opposition aux gouvernements « progressistes », y inclus grèves, rébellions et actes de résistance au travail comme « fascistes ». L’antifascisme conservateur, de Roosevelt, Churchill et De Gaulle, par contre, ne confondait pas, avant la naissance de l’Axe, le fascisme de Mussolini avec le nazisme de Hitler, et il sut, après guerre, composer avec le régime de Francisco Franco puisqu’il luttait contre le fascisme au nom du maintien d’un libéralisme économique et social.
Les antifascismes, révolutionnaire et conservateur, ont presque toujours privilégié la lutte contre les fascismes sur celle contre le communisme russe et rejeté le pacifisme né après la première guerre mondiale en faveur d’une nouvelle guerre, contre le fascisme. Finalement, la tentative atlantiste de renouveler l’ordre européen a vaincu la tentative national-socialiste d’un ordre nouveau d’un autre genre qui comptait fonder l’ordre en Europe sur une exploitation plus intensive du travail. Selon Michael Seidman, c’est avant tout cette volonté de forcer au travail, qui s’exprima par l’encadrement autoritaire des ouvriers dans les usines et les camps de travail dans l’Allemagne hitlérienne et, dans une moindre mesure, dans l’Italie mussolinienne, qui aura poussé les travailleurs vers l’antifascisme étatique des Alliés. »
Beaucoup d’articles de Seidman publiés en anglais sont inédits en français (et en espagnol semble-t-il) et mériteraient une traduction : nous signalons ces deux-là :
– « Agrarian collectives in the spanish civil war », publié en 2000. Titre provisoire : Les collectifs agricoles dans la révolution espagnole dans la guerre civile.
– « Productivist Brothers : Anarchists and Marxists Confront Workers in the Russian and Spanish Revolutions ». Titre provisoire : Les frères la produc’. Anarchistes et marxistes face aux travailleurs dans les révolutions russe et espagnole.
On trouvera aussi une « Historiographie de mai 1968 en langue anglaise » de Michael Seidman dans la revue de la BDIC | « Matériaux pour l’histoire de notre temps » 2009/2 N° 94 | pages 3 à 9 :
https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2009-2-page-3.htm
Nous serons présents à cette conférence et évoquerons l’ouvrage qui nous intéresse le plus – Ouvriers contre le travail – dans lequel nous avons beaucoup puisé pour nos propres travaux sur l’anticapitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistes espagnols.
Les giménologues, premier mai 2018