Nous avons laissé le Groupe international à Perdiguera, à 25 kms environ de Saragosse...
Neuvième épisode : Perdiguera
Nous avons laissé le Groupe international à Perdiguera, à 25 kms environ de Saragosse : dans un premier temps, la stratégie du Comité de guerre relayée par Lucio Ruano a été appliquée avec succès par Louis Berthomieu : ils ont occupé la position désignée au-dessus du hameau. Jugeant que l’ennemi est solidement retranché, le délégué général envoie alors Carpentier et Ridel chercher du matériel et des munitions supplémentaires au camp de base. Mais la pression devient trop forte ; quand Berthomieu tente d’organiser le repli, il est trop tard : le groupe le plus avancé se retrouve encerclé par les troupes franquistes et la cavalerie marocaine ; une partie est fusillée ou se suicide. Selon les journaux français, Berthomieu se fait sauter à la dynamite. La mort d’Alexandre Staradoff est relatée à chaud par un autre survivant, Charles Ridel qui écrit le 23 octobre dans Le Libertaire que
« Cet ancien membre du détachement anarchiste ukrainien de 1917 était venu en Espagne prêter son concours de combattant aguerri : après avoir épuisé ses munitions, il lança les trois grenades qu’il possédait et tomba ».
Pour le reste du Groupe réfugié dans une grange, quand le jour se lève en ce 16 octobre, la situation est désespérée...
Récit : du chapitre La Calle à la fin du chapitre Arrivée de Pablo.
Fin du récit :
Sur les 240 miliciens du Groupe International engagés dans cette bataille, 170 ont péri, dont une quinzaine de Français. Ce massacre a beaucoup marqué certains survivants, d’autant plus qu’il semble bien qu’il soit imputable - au minimum- à une erreur de manœuvre militaire. Voyons comment l’événement a été présenté :
– Abel Paz, ce jeune libertaire qui milite à Barcelone en 36, rédigera une biographie de Durruti. Pour décrire la bataille, il s’appuie sur des témoins directs et sur un document de la CNT diffusé en 1938, qui représente en quelque sorte la version officielle anarchiste.
Voilà un extrait de l’édition française de 1993 de cette biographie :
« Durruti put réunir assez de forces pour secourir les positions menacées. Les Internationaux se voyaient pratiquement encerclés. On luttait au corps à corps, de tranchée en tranchée. La venue du renfort changea le sort du combat. L’ennemi dut se retirer, ce dont Durruti profita pour tirer les Internationaux de l’encerclement et libérer deux autos blindées. La contre-offensive donna d’excellents résultats ».
En somme ce sont les Internationaux qui auraient mal manœuvré, et le reste des centuries qui les aurait tirés d’affaire ; le délégué général de la colonne Durruti aurait bien contrôlé la situation. Cette vision des événements exclut toute éventuelle erreur du commandement et relativise l’ampleur du désastre. Elle ne correspond pas au récit de Gimenez.
– Selon le témoignage non publié de Charles Carpentier, survivant de cette tragédie, après avoir lancé dans la journée du 15 octobre une offensive sur une partie du front, Durruti avait donné l’ordre aux centuries de se retirer, et de revenir à leurs positions antérieures. Cependant l’estafette expédiée auprès des Internationaux, pour les prévenir du repli général, s’était égarée dans la nature et n’arriva que bien après la bataille. Les Marocains n’avaient eu aucun mal à encercler le Groupe soudain dégarni sur ses flancs gauche et droit. Toujours selon Carpentier, après le massacre, certains des membres du Groupe international, fous de rage, persuadés qu’on les avait envoyés au casse-pipe et laissé choir, voulaient débouler au Quartier Général de la colonne et tirer dans le tas. Oui, ils s’estimaient trahis. Peut-être certains ont-ils considéré que Ruano, membre du Comité de guerre, était le responsable direct de ce gâchis sanglant. Ridel et Carpentier eurent toutes les peines du monde à convaincre leurs camarades que tout cela était la faute à pas de chance, et ils durent user de l’autorité que leur conférait leur qualité de fondateurs du groupe pour les empêcher de commettre un acte de vengeance. Voilà un récit qui se rapproche davantage de celui de Gimenez.
– Les accusations que Gimenez porte à l’égard du Comité de guerre de la colonne, et plus particulièrement à l’encontre de Lucio Ruano, sont très graves. Pour lui, comme pour d’autres sans doute, même si le plan d’attaque avait été mauvais, il fallait au moins venir les secourir. Ensuite s’il est vrai que le QG s’est défaussé quant au besoin légitime d’explication de la part des miliciens, la thèse de la trahison peut trouver sa place ; reste à savoir pourquoi elle pèse sur Lucio Ruano... Nous y reviendrons. Il faut également souligner que les milices anarchistes, peu aguerries dans les premiers mois du conflit, commettent des erreurs tactiques, et que la conduite de cette guerre souffre aussi de problèmes de communication et de coordination. Selon un rapport établi à chaud par les rescapés, l’entrée le 15 octobre au soir dans les abords du hameau de Perdiguera fut très facile, l’ennemi laissant même du matériel militaire : il s’agissait peut-être d’un piège...
Le récit d’Antonio Gimenez est intense car il nous confronte de manière rapprochée à des situations de combat terribles et complexes. On notera qu’il ne cite pas la présence des troupes marocaines, attestée par les autres récits, et qu’il ne profite pas des atrocités commises sur ses amies Mimosa et Augusta pour sombrer dans des propos racistes, ce que d’autres se sont autorisés à faire.