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BIOGRAPHIE d’Amador ALVAREZ

BIOGRAPHIE d’Amador ALVAREZ

Une famille engagée

Sonia nous a contactés un jour d’avril 2007 pour nous parler de sa volonté de lancer des recherches sur son grand-père Amador Alvarez, disparu en Aragon soixante-dix ans auparavant.

Amador a laissé sa vie à la bataille de Santa Quiteria dont parle Antoine Gimenez dans ses souvenirs.
Au cours de notre travail de publication, nous étions tombés sur bien d’autres récits de cette journée de combats qui fit près de mille morts du côté des miliciens antifascistes, et nous en avons publié de larges extraits dans notre ouvrage.

Nous avons ensuite trouvé et placé sur ce site un « Informe urgente al Comisario General de Guerra, Caspe, 14 de Abril de 1937 », rédigé par le Commissaire Inspecteur de Guerre R. García Melero, qui mettait en évidence que le résultat désatreux de cette attaque militaire n’était pas seulement à imputer à l’ennemi d’en face.
Voir ICI : http://gimenologues.org/spip.php?article288

Après avoir lu les souvenirs d’Antoine, Sonia, qui est devenue notre amie, nous a écrit cette forte lettre :

"Je suis tourmentée à la lecture des mémoires d’Antoine. Il y a beaucoup de points communs avec l’histoire de ma famille. Je souffre en lisant leur souffrance. Peut-être trop. Je pense que ce n’est pas "normal" de ressentir aussi fort les événements de ces années terribles et c’est pour cela que j’ai tant tardé à m’y plonger. Je pleure beaucoup et j’y pense presque toute la journée. Heureusement Antoine raconte aussi ses rencontres et ses exploits amoureux, c’est bien de le faire aussi car les hommes et les femmes de cette époque étaient parfois trop pudiques je pense. Cela prouve qu’il avait un train d’avance sur la bourgeoisie bien pensante... J’ai surtout apprécié son message sur l’anarchie que je connaissais mal. J’entendais beaucoup parler des anars quand j’étais petite mais c’était surtout pour critiquer les mauvaises actions faites pendant la guerre (viols des religieuses, pillages et autres méfaits. Je me rends compte en lisant les passages sur le mouvement libertaire que c’est un mouvement très "avant-gardiste" qui n’a rien à voir avec la caricature qu’on en a fait et même si c’est utopique, il y a eu des hommes dignes de ce rêve et il y en aura toujours. Je trouve cela très beau et j’ai envie d’en savoir plus. L’anarchie n’est plus le bordel ni le chaos pour moi, c’est tout le contraire, c’est l’ordre et l’harmonie sans contrôle extérieur mais grâce à la conscience de chacun de ses droits et de ses devoirs.
J’apprécie aussi beaucoup les explications d’Antoine sur la division du travail. Je crois très fort comme lui que nous trouvons notre équilibre en optant pour un travail à la fois manuel (il dit productif) et intellectuel. C’est une solution très intéressante pour notre société malade.
J’ai découvert en lisant "les fils de la nuit" ( mais mon père m’en avait déjà un peu parlé) que des hommes ont voulu changer le cours des choses dans les années 30, ils ont tenté des expériences très audacieuses pour l’époque, le monde était loin d’être prêt à les entendre. Ils ont donné leur vie avec l’espoir d’un monde meilleur pour leurs enfants. Comme dit Antoine dans sa lettre à sa soeur nos enfants ne sont pas uniquement nos enfants biologiques. Nous ne sommes pas propriétaire de notre progéniture non plus. Je ressens chez lui le même dépit que chez mon père à la fin de sa vie où ses espoirs de changer le monde s’étaient évanouis. J’ai beaucoup de mal à lire les scènes de combat, je ne sais pas ce qui est arrivé à mon abuelo et j’ai peur du pire pour lui.
Abrazos". Sonia

Nous publions aujourd’hui la première partie de la biographie qu’elle vient de rédiger sur les deux « Amador »de sa vie : son grand-père et son père.


Les Giménologues

12 Mars 2009


BIOGRAPHIE d’Amador ALVAREZ

[Le père de Sonia]
Une famille engagée
[Ce texte est en cours de traduction en espagnol]

Mon père, Amador Alvarez, que l’on appelait Màdo, est né dans un petit village paisible des Asturies, Sama de Langreo.
Pas si paisible que ça quand on est né en 1920 en Espagne et qu’on est le fils d’un syndicaliste déserteur de la guerre du Maroc !

Histoire de mon grand-père Amador

Mon grand-père s’appelle aussi Amador. Il est le fils naturel d’un notable du village qui ne l’a jamais reconnu. Il est né en 1890 à Rano (Quiroz) dans les Asturies.

Sa mère, Angela, mon arrière-grand mère, jeune employée à la maison de maître que les villageois appelaient « el castel », se retrouve enceinte. Cas de figure fréquent à cette époque où « le Maître » a tous les droits, notamment celui de cuissage. Angeles est donc mère célibataire. Péché honteux fortement réprouvé dans la société espagnole façonnée par l’Eglise catholique, ce qui l’oblige à vivre à l’extérieur du village, en exclue.

Amador, lui, rejette ce géniteur et la société qu’il représente. Il taira son nom à ses enfants qui ont interdiction de le rencontrer. Il ira garder les vaches des fermiers asturiens et apprendra à lire tout seul dans les pâturages.
Mais une nouvelle vient aux oreilles de son « paternel » : il y aurait dans le village un garçonnet qui aurait appris à lire tout seul en gardant les vaches ...
Le notable propose à son « bâtard » de venir chez lui afin de poursuivre ses études. Mon grand-père refuse, préfère rester avec sa mère.
Il grandit en continuant à s’instruire tout seul et en travaillant à la mine. Puis il se marie et fonde une famille avec Natividad Fernández. Ils auront six enfants : Camelia, Amador, Sabino, Angel, Angeles, Arthur.

Amador et Natividad
Amador et Natividad

Ma grand-mère adore son mari, elle admire son intelligence et son courage. Orpheline, et donc élevée par les sœurs dans la foi catholique et le respect de l’Eglise, elle ne rompt pas avec le clergé et continue d’aller à la messe en cachette. Bien qu’il tente de faire évoluer son épouse, son mari ferme les yeux sur ses escapades religieuses ; je pense qu’il les tolère et préfère ne pas trop évoquer un sujet si sensible. C’est elle qui obtiendra le certificat de présence à l’office du dimanche, document indispensable aux mineurs pour récupérer leurs lampes. En effet, la lampe est vitale pour un mineur de fond, mais elle ne lui appartient pas : il ne peut l’amener chez lui, elle est récupérée par un préposé en fin de semaine. Le mineur ne peut la reprendre, le lundi matin, que s’il a entre les mains un certificat de présence à l’office du dimanche.
Évidemment mon grand-père ne pouvait participer à cette mascarade. C’est ma grand-mère qui négociait avec le curé jusqu’au jour où celui-ci lui a proposé de faire gratuitement un certificat de complaisance [1].

Amador s’engage politiquement au P.S.O.E, puis au P.C.E à sa création [2]. Il s’engage aussi syndicalement.
Après sa journée de travail, il passe de village en village, de ferme en ferme, pour vendre des livres (il est représentant en livres après sa journée de travail à la mine) et en profite pour informer les mineurs sur les grèves. Ses activités politiques lui causent d’incessants tracas avec la justice et la police. Il sera emprisonné à plusieurs reprises, en particulier pour avoir refusé de participer à la guerre du Rif [3].

Il refuse de baptiser ses enfants et c’est un instituteur socialiste qui vient les instruire à la maison. Fatigué par les tracasseries de la police, Amador décide d’émigrer en France (ma grand-mère rencontre son « beau-père » en cachette pour lui demander de l’aider à sortir son mari de prison, c’est lui qui paiera les cautions). Il lui en coûte de vivre dans un pays aussi archaïque où ses enfants sont obligés de suivre l’enseignement catholique, où tout est régi par un pouvoir totalitaire qui l’opprime. Il lit les auteurs français - Victor Hugo est son préféré - et rêve de démocratie, de séparation de l’Eglise et de l’Etat, de laïcité et d’humanisme (on ne saura jamais comment il a appris à lire le français).

En 1928, il vend tout ce qu’il possède, en particulier les livres de sa magnifique bibliothèque, et part en France, un contrat de travail en poche. La famille s’installe d’abord à Decazeville puis au Vigan, ville du bassin houiller des Cévennes, et enfin à Alès [4].

Mon grand-père retournera en Espagne à plusieurs reprises, en particulier au moment de l’Insurrection des Asturies en 1934. Il pense pouvoir changer la vie dans son pays et y revivre en paix avec sa famille.

Sociedad Recreativa
Sociedad Recreativa

En 1935 il est de retour en France et fonde une association d’alphabétisation [5] :

« La sociedad recreativa e instructiva de la Colonia Espanola » qui, sous couvert d’organiser des festivités folkloriques, militera l’année suivante [6] pour que les exilés espagnols d’Alès rejoignent ceux qui qui se battent pour défendre la jeune république espagnole. Il organise des meetings avec sa fille aînée Camelia. Cela déplaît aux autorités françaises. Tous deux reçoivent un arrêté d’expulsion du territoire français en 1935.

Sociedad Recreativa 2
Sociedad Recreativa 2

Camélia échappe à l’expulsion grâce à son mariage avec un jeune communiste, Paul Planque. Pour rester en France, une seule solution pour Camélia : le mariage avec un Français. Comme la demoiselle est mignonne, il ne manquera pas de volontaires parmi les jeunes communistes. Mais Camélia a un penchant pour Paul et c’est réciproque. Pour échapper à la police et à l’expulsion (déjà à cette époque !) la fiancée se cache chez des amis à quarante kilomètres d’Alès. Le maire communiste de cette ville, Fernand Valat, [7] s’arrange pour publier discrètement les bans. Dès l’arrivée de la mariée, le maire fait fermer toutes les entrées de l’Hôtel de ville pour éviter une intervention surprise de la police. Le temps paraît long à l’assistance qui attend l’arrivée du marié. Il arrive enfin sur sa moto ; on échange rapidement les consentements et on peut rouvrir les portes de la mairie. Sur la place, leurs amis des Jeunesses Communistes font une haie d’honneur avec des drapeaux rouges. Ce souvenir est gravé dans toutes les mémoires des témoins. Camélia n’était plus expulsable !

En 1936 mon grand-père Amador quitte Alès et s’engage dans les « Milicies Antifeixistes de Catalunya ». Il a attendu la naissance de sa petite-fille Yvette (fille de Camélia et Paul) pour rejoindre les Républicains.
Il est dinamitero sur le front de l’Ebre, près de Tardienta. Il ne sait pas se servir d’une arme à feu, d’ailleurs il refuse d’apprendre, il est pacifiste. Mais il sait par contre utiliser la dynamite grâce à son métier de mineur. On lui confiera donc la périlleuse mission de faire chanter la poudre pour détruire les positions ennemies. Il avance la nuit avec ses camarades, un cigare vissé aux lèvres pour allumer les mèches des bâtons d’explosifs.
Entre deux engagements, il se reposait dans un hangar désaffecté (une minoterie ?) transformé en caserne.
Amador correspond par lettres avec sa famille restée en France, ses lettres sont pleines d’espoir et d’amour pour les siens.

"Tardienta 25-9-36
Chers fils et compagne
Salut
J’ai bien reçu votre lettre, sans date, dans laquelle je vois que vous allez bien et que Meseger [?] a eu ce qu’il méritait.
Ici tout va bien, pendant que nous faisons la guerre au fascisme, la plus profonde des transformations sociales se met en place.
Dans peu de temps, l’Espagne que les grandes puissances regardaient avec indifférence, sinon avec mépris, sera portée à la hauteur qu’elle mérite.
Pour répondre à ta demande concernant le cousin et Gregorio Carnejo, vous leur direz que je ne leur conseille rien ; je ne voudrais en aucune façon prendre cette responsabilité, mais il y a ici, au front, des hommes âgés comme eux.
Cela ne veut pas dire qu’ils doivent venir car je connais bien les problèmes que cela entraîne.
Dites-moi si d’autres sont partis d’Alès. Racontez-moi ce qui se passe dans les organisations et dans les familles et recevez un gros baiser de votre père qui vous aime.
Amador Alvarez"

Je pense qu’il y a eu d’autres lettres qui ont été perdues en 1939-1945. Voici la traduction de la dernière, expédiée depuis le front :

Targeta postal
Targeta postal

"Sans réponse de votre part à mes lettres, je continue à ne rien savoir de vous J’ai besoin d’avoir de vos nouvelles.
Au sujet de notre mission, elle ne peut être mieux engagée
Les loyaux avancent sur tous les fronts et le triomphe définitif est proche.

Donnez-moi des nouvelles de tous ceux de chez nous, d’Amador que je ferai venir lorsque cela sera nécessaire. Et les autres, ils vont bien ? Comment va la petite ?
Vous le savez, mon cœur vous appartient, Amador Alvarez
Tardienta 11/11/36."

Sa femme et ses enfants ne le reverront plus.

DESAPARECIDO !!!


À cette époque, mon père, Amador Alvarez, el Màdo est un jeune homme de 16 ans, partagé entre l’envie de rejoindre son père pour combattre à ses côtés, et celle de soutenir sa mère qui élève seule les six enfants.
Il attend avec impatience le signal du père, prêt à donner sa vie et sa jeunesse pour une cause qu’il croit supérieure à tout. Il a été élevé dans cet espoir, il rêve d’une société laïque et égalitaire pour l’Espagne.
Il n’ira jamais le rejoindre sur le front, sa vie sera épargnée. Mais il restera marqué à tout jamais par cette absence et ce deuil qu’il ne pourra jamais faire, faute de dépouille. Pendant des mois, la famille espère le retour d’Amador père en se débattant pour survivre. Màdo abandonne son apprentissage chez un pâtissier pour travailler et nourrir la fratrie. Les nouvelles du front d’Espagne ne sont pas bonnes. Les amis qui reviennent racontent que le père est tombé pendant la bataille de Santa Quiteria en avril 1937. [8]

Les versions sont contradictoires, certains rescapés revenus à Alès racontent à ma grand-mère que son mari a été blessé au front, rapatrié et soigné par les Brigades Internationales, et qu’il aurait été amputé d’une jambe. Mais la famille pense qu’il serait rentré, même infirme, et ne croit pas à cette version. Ma grand-mère va se rendre à Barcelone avant la fin de la guerre pour connaître la vérité sur la disparition d’Amador. Là, on lui explique qu’il aurait bien péri dans cette bataille du 12 avril 1937. Le combat fut affreusement sanglant. Je sais pour l’avoir entendu dire par mon père que les combattants ont été trahis : l’infanterie lâchée par l’aviation (tenue par les communistes) qui devait venir l’appuyer en bombardant les positions fascistes, s’est retrouvée prise au piège et massacrée. Les corps des combattants républicains ont été entassés dans une fosse commune. Mon grand-père est sans doute parmi eux. Je sais que mon père est allé à Tardienta et à Santa Quiteria dès qu’il a pu rentrer en Espagne en 1975, mais il n’a rien trouvé, la population se taisait. Devant son chagrin, des vieux de Santa Quiteria lui ont indiqué un champ dans la plaine au bas de l’hermitage, où auraient été ensevelis les corps des miliciens. Là, Màdo a pris un peu de terre et l’a ramenée en France
Il n’y a pas de doute sur le lieu de sa mort, mais nous n’avons aucune preuve.
Il est difficile de connaître la vérité sur sa disparition.

A ce jour, nous ne savons toujours pas ce qui s’est réellement passé et où gît le corps de mon grand-père, malgré les multiples démarches entreprises auprès des associations espagnoles. Nous avons pris contact avec Emilio Silva [9]

Je voulais participer aux exhumations des corps qui se multiplient un peu partout en Espagne. On m’a répondu gentiment, j’ai rempli des dossiers, mais malgré mes multiples relances on ne m’a jamais contactée. J’ai également déposé un dossier de recherche pour disparition : les Archives de Salamanca n’ont pas de trace du passage de mon abuelo dans les Milices Antifascistes. Cette absence d’information est une grande souffrance pour notre famille, mon père et ma grand-mère pleuraient encore, plus de cinquante ans après sa disparition lorsqu’on évoquait le sujet en famille. Ils m’ont transmis leur chagrin, mélange d’impuissance et de révolte. Mais cela semble n’émouvoir personne. Savoir que des charniers existent en Europe, que des hommes et des femmes dignes et courageux gisent sans sépulture à deux pas de chez nous et ne rien faire ou pas grand-chose pour essayer de réparer et de soulager les familles, cela me révolte comme cela a révolté mon père.

Sonia