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Les Gimenologues
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Chapitre 8 . De l’ amour et du mariage.

L’orateur débuta ainsi :
“ Camarades, je demande pardon d’avance à ceux qui seront choqués par ce que je veux vous dire."

L’orateur débuta ainsi :
“ Camarades, je demande pardon d’avance à ceux qui seront choqués par ce que je veux vous dire. Le mariage, institution vieille de plusieurs millions, j’allais dire d’années, mais du moins ce qui est plus près de la vérité, de quelques dizaines de siècles, depuis l’avènement du christianisme, le mariage donc, dans sa forme actuelle, est le tombeau de l’amour. La femme doit obéir au mari, se soumettre à sa volonté car il est le maître. En échange, il est chargé de la nourrir et de la défendre, comme il doit défendre son bétail, car elle est sa chose. Elle lui appartient. Je parle pour toutes les femmes, aussi bien pour celles qui sont nées dans un berceau doré que pour celles qui reposent depuis leurs premiers vagissements sur ces grabats. Dans cette société que nous voulons détruire, le prolétaire se marie souvent pour avoir une bonne le jour, une femelle la nuit, et pour perpétuer la race des esclaves et des miséreux qui traînent leurs savates sur tous les chemins du monde. Et ceci pour le plus grand bien des classes dominantes qui nous écrasent.

“ Les femmes du peuple usées par le travail, affaiblies par une nourriture insuffisante, déformées par des grossesses trop rapprochées, sont vieilles à 30 ans. Vous ne me croyez pas : regardez autour de vous. Oui, je sais ce que vous vous dites : une fille doit se marier, une femme sans mari est une plante sans feuille, un arbre sans fruit... et pour échapper à la tutelle du père ou des frères, en espérant conquérir un peu de liberté, vous êtes prêtes à vous donner en échange d’un nom. NON. Je suis contre toutes les prostitutions, même celles qui sont légalisées par le maire et bénies par le curé. C’est à cause de ces préjugés qui nous viennent du fond des âges et des époques lointaines que la femelle de l’homme, alourdie par la grossesse, affaiblie par l’accouchement qui l’empêchait de se procurer de quoi survivre, a eu besoin de quelqu’un qui puisse chasser, pêcher, grimper aux arbres pour la nourrir, la défendre, elle et son rejeton, contre l’attaque des fauves si cela était nécessaire. Elle fut alors obligée d’admettre la rude loi de la nature qui ordonne de tout accepter pour que l’espèce survive. Et l’espèce a survécu.

“ Au fil des générations, l’Humanité s’est multipliée, a envahi le monde, a inventé la machine, dompté la foudre, domestiqué le feu. Le mâle a imposé la loi du plus fort et a fait de la femme un bibelot, une servante ou une bête de somme. Elle fut conditionnée par des siècles de soumission d’une telle façon qu’aujourd’hui encore il existe des pays où l’homme achète sa femme, où des parents troquent leur fille contre marchandises, bétail ou toute autre denrée. Dans notre société soi-disant civilisée, on arrange souvent, pour ne pas dire toujours, des unions où seuls comptent les propriétés, capitaux, la richesse des parents et nullement les penchants affectifs des fiancés. Si un homme a plusieurs maîtresses, on dit de lui avec admiration : “ C’est un rude lapin. ” Si une femme a un amant, on dit d’elle : “ C’est une putain.” Je réclame pour la femme, pour toutes les femmes, les mêmes droits que ceux que nous avons, nous les hommes. Je réclame pour la moitié du genre humain le droit à la liberté de l’amour, à la libre maternité. ”

Le succès fut assez mitigé, surtout parmi les plus âgés du sexe masculin. En Espagne, les filles étaient loin d’avoir la liberté de leurs sœurs de France ou d’autres pays d’Europe. Pour ne pas choquer les parents, elles se taisaient.
Les garçons et les hommes mûrs discutaient ferme, les uns pour, les autres contre. Quelques femmes se mêlaient au débat. On posait des questions à l’orateur. On lui demanda quelle serait sa réaction si, dans le cas où il était marié, il apprenait que sa femme avait un amant.

“ Écoute, amigo, répondit-il, si ma femme est aussi une libertaire, donc a le même respect que moi pour sa liberté et pour la mienne, et qu’elle me confiait son désir de coucher avec un autre homme, en me donnant les raisons sentimentales ou physiques, on déciderait ensemble de la conduite à tenir. Si mon épouse ne partage pas mes idées, elle ne me dira rien, et si je l’apprends, il faudra que je me pose des questions.
1) Est-ce que je ne satisfais pas ses besoins érotiques ? Si c’est cela, il est juste qu’elle aille chercher ailleurs ce que je ne peux lui donner. Un exemple : je t’invite à dîner chez moi. Lorsque tu t’en vas, tu as encore faim. Faut-il que je me fâche parce qu’en sortant de chez moi tu vas t’acheter un sandwich ? Non, n’est-ce pas ? Les nécessités sexuelles sont comparables aux besoins nutritifs. Elles varient selon les individus. Il y en a qui ont un gros appétit et d’autres qui, avec très peu de choses, sont rassasiés. Donc, j’ai juste le droit de me taire ; tout au plus, je pourrais lui reprocher de ne pas m’avoir prévenu.
2) Elle cherche un amant pour assouvir ses envies matérielles, nécessaires ou superflues. C’est encore de ma faute car je n’arrive pas à gagner suffisamment d’argent pour qu’elle puisse se procurer ce qu’elle désire.
“ Dans les deux cas, quelle doit être ma conduite ? Dans le premier cas, je n’y peux rien : la nature ne m’a pas fait assez fort pour la combler et je serais un fieffé salaud si je voulais, profitant du pouvoir que me donnent la loi écrite et les mœurs, l’empêcher de s’épanouir dans le plaisir de la chair pour une simple question d’amour propre. Dans le deuxième cas, que pourrais-je faire ? Me taire et accepter ? Non... car je profiterais de sa beauté, de son élégance, de son luxe, à mon corps défendant certes, mais je me sentirais moralement l’égal des maquereaux, des souteneurs qui vivent du travail des prostituées comme les capitalistes de celui des ouvriers, car la prostitution est le plus vieux métier du monde. Alors, je la quitterais pour grandes que fussent l’affection, l’amour et l’amitié que j’aurais pour elle.
– Tu ne connais pas la jalousie ?
– Si, je suis jaloux de mes maîtresses. Avec elles, aucun contrat ne me lie. Seule la recherche du plaisir érotique nous unit. Il est naturel que lorsque ce plaisir diminue ou disparaît, on se quitte pour chercher ailleurs, avec d’autres partenaires, cette jouissance qui est, par loi naturelle, nécessaire à l’équilibre psychique de tout être humain. Je suis jaloux de ma maîtresse car j’ai horreur du mensonge et de l’hypocrisie. J’ai horreur du mensonge gratuit, inutile, que l’on fait seulement pour le plaisir de cacher ce que l’on a fait à notre entourage, comme si on croyait ne pas avoir le droit de le faire. Comme si nous n’étions pas libres et responsables de nos actes. ”
Dès le commencement de sa réponse, le silence s’était fait. Une jeune femme s’était approchée de lui et l’écoutait sans le quitter des yeux. Dolores, une jeune femme d’environ 25 ans, couturière de son état, lui demanda :
“ Pedrito, que penserais-tu d’une femme qui te dirait ici même « je t’aime » ?
– Je penserais que c’est une femme intelligente et libre. Je penserais qu’elle est de beaucoup en avance sur son temps, et pour cela j’aurais de l’admiration et du respect pour elle-même, même si, au lieu de s’adresser à moi, elle avait parlé à un autre. Est-ce cela que tu voulais savoir ?
– Oui, mais aussi, quelles seraient les motivations qui l’auraient poussée, elle, à cette déclaration ? Celles-ci sont multiples. Toi, tu pourrais les énumérer aussi bien que moi. Généralement, ce sont les mêmes pour l’homme et pour la femme : le désir, la curiosité de savoir comment réagit un individu dans une situation particulière, l’envie de connaître la puissance virile de l’être choisi et tout ceci peut se confondre, en dernier ressort, avec l’amour qui nous pousse tous à vouloir croire que nous cherchons le bonheur de la personne aimée, alors qu’en réalité nous ne recherchons que l’épanouissement de notre personnalité subconsciente. Et nos conceptions étant presque toujours différentes, elles se choquent, s’opposent, s’affrontent... et c’est l’enfer conjugal avec ses sanglots, ses plaintes, ses grincements de dents, d’où la nécessité de se séparer, d’aller franchement chercher ailleurs la réalisation de nos aspirations, la matérialisation des chimères qui nous hantent.
– Tu ne crois pas à un amour qui dure toute une vie ?
– Oui, s’il est basé sur la franchise, la compréhension, la tolérance de toutes ces choses qui peuvent diviser un couple : différences de goûts matériels ou esthétiques, d’aspirations intellectuelles ou morales. Il est très rare que deux personnes ayant les mêmes goûts, les mêmes aspirations se rencontrent pour former ce qu’on appelle « famille ». ”
La conversation ne se termina que fort tard. Tous ceux qui devaient reprendre le travail le lendemain étaient partis se coucher depuis longtemps déjà.


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