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Augusta, Mimosa
Deux infirmières volontaires du Groupe International de la colonne Durruti

Nous continuons de reconstituer la brève histoire de Mimosa et d’Augusta dont nous avons évoqué la fin terrible dans un précédent article : http://gimenologues.org/spip.php?article447

Georgette Kokoczynski, dite Mimosa
Georgette Brivadis - Ango, épouse Kokoczynski

Grâce à l’amabilité de Didier Pillon [1] et Eric Coulaud, qui alimente le riche site Ephéméride anarchiste ephemanar, nous voilà en possession de l’acte de naissance de Mimosa, ce qui nous a permis de rectifier quelques passages de sa biographie (empruntée à Rolf Dupuy).

« Par acte dressé à la mairie de Versailles (Seine et Oise) le 16 octobre suivant, Léontine Stéphanie BRIVADY a reconnu l’enfant inscrite en l’acte ci-contre. Le Maire »

Extrait du texte de l’acte :

« L’an mil neuf cent sept, le dix-huit août à dix heures et demie du matin. Acte de naissance de Georgette Léontine Roberte Augustine, de sexe féminin, née le seize août courant à trois heures du soir, à Paris, rue d’Assas, 89. Fille de Léontine Stéphanie BRIVADIS, âgée de vingt-trois ans, domestique, domiciliée à Paris, rue Caulincourt, 6, et de père non dénommé. Dressé par nous, Constant Pavy, adjoint au Maire, Officier de l’Etat Civil du sixième arrondissement de Paris… ».

On lit ensuite que :

« Par leur mariage célébré en la 18° mairie de Paris le 14 novembre 1908, les époux ANGO Robert, Louis Charles et BRIVADY Léontine Stéphanie ont légitimé l’enfant inscrite en l’acte ci-contre. »

Il est confirmé que Georgette s’est « mariée à Colombes (Seine) le 7 novembre 1931 avec Mieczcjslaw Kokoczynski », qui a changé de nom (pour des raisons qui nous échappent) puisqu’il est ajouté le 14 avril 1976 que
« Dans la mention marginale, l’époux sera nommé ROUZÉ, décret du 20 août 1973. Instructions du parquet de Créteil : 267. SC. 75, en date du 8 avril 1976. »

Après lecture du livre de Daniel Bénédite « La filière marseillaise », paru chez Clancier - Guénaud en 1984, nous pensons que c’est le même Kokoczynski qui se réfugiera un moment à Marseille dans les années 1941-42 auprès du Comité de Sauvetage d’Urgence (« Emergency Rescue Committee ») de Varian Fry, avant de partir en Algérie.


Augusta

Au sujet d’Augusta, ajoutons qu’il est question d’elle dans un ouvrage récent paru en Espagne : « Antifascistas alemanes en Barcelona (1936-1939). El grupo DAS [2] », dans la nouvelle version (en espagnol) revue et augmentée de l’article de Dieter Nelles : « La légion étrangère de la révolution. Anarcho-syndicalistes et volontaires allemands dans les milices anarchistes pendant la guerre civile espagnole ».

Antoine Gimenez parle de ces deux jeunes femmes dans ses souvenirs. Extraits des « Les fils de la nuit », pp. 50, 58, 85-86, 94-95 et 98 :

« Notre groupe fut bientôt le seul à Pina à comporter des membres du sexe féminin. Six femmes s’occupaient de l’infirmerie et de la cuisine : Marthe, Madeleine, Simone, Augusta, Mimosa et Rosaria. Deux d’entre elles, Marthe et Madeleine, vivaient en ménage, respectivement avec Pierre et Hans. À l’exception de Simone Weil qui rentra en France, toutes les autres restèrent en Espagne pour toujours : Marthe, Mimosa et Augusta tombèrent à Perdiguera
(…)

Augusta avait 22 ou 23 ans. Ses parents étant prisonniers dans un camp, elle avait fui l’Allemagne pour se réfugier en France. Mais, devant l’impossibilité de poursuivre ses études de médecine, et ne trouvant pas de travail, elle était venue en Espagne. Sportive, avec un corps digne de servir de modèle à un Michel-Ange ou à un Cellini, elle faisait le malheur de toute la gent mâle de Pina. Je dis malheur, car elle semblait faite d’une glace d’un tel degré de froidure qu’aucune flamme humaine ne paraissait pouvoir la réchauffer. Pourtant, elle était gentille, toujours souriante, prête à rendre service en toute occasion, c’est-à-dire aussi bien faire une reprise à un pantalon déchiré que préparer un repas en pleine campagne avec des moyens de fortune.
Nous étions aux tous derniers jours de septembre et j’avais envie de passer un jour en famille. Après en avoir avisé Louis, je suis monté dans un camion qui allait à Gelsa de Ebro. Augusta avait eu la même envie que moi. Elle voulait revoir les amies qu’elle s’était fait dans la petite ville.
Durant tout le trajet, je la baratinais et elle riait de bon cœur à toutes mes boutades. Je savais que je n’avais aucune chance de réussir : elle était connue pour sa froideur. Nous disions qu’elle était allergique à l’amour : gentille copine, dévouée, prête à rendre service à tout le monde, mais pour ça rien à faire. Je crois lui avoir débité toutes les fadaises qu’un garçon peut dire à une fille, lui avoir fait toutes les propositions que l’on peut faire à une femme pas bégueule. Moi, je ne me prenais pas au sérieux. Augusta riait aux larmes et moi avec. Je conserve de ce voyage un souvenir plein de tendresse et de pureté malgré les propos grivois et libertins de la conversation.
Pauvre Augusta, elle n’avait plus que quelques jours à vivre. Ex-étudiante en médecine, elle s’était fait des amies parmi les femmes qu’elle avait soignées. Nous étions heureux d’aller voir les gens simples que nous aimions. Avant de descendre du camion, je lui lançai une dernière boutade :
« Augusta, souviens-toi que je suis capable d’oublier mon sexe et si un jour tu as besoin d’une copine pour t’amuser, pense à moi. »
Elle me donna une bourrade et éclata de rire en me disant :
« Tony, mon petit, tu es complètement fou. »
Lorsqu’on se sépara, elle riait encore.
(…)

Nous étions une dizaine. Augusta et Mimosa avaient préparé des bottes de paille et ouvert les boîtes à pharmacie. Leur travail fini, elles s’étaient allongées et discutaient avec Georges, un petit Parisien qui s’amusait à ouvrir et fermer sa navaja pour le plaisir d’entendre le cliquetis des crans d’arrêt. Cette étrange musique lui plaisait tellement que souvent, même en se promenant, il ouvrait et fermait son couteau en variant la vitesse de la fermeture et de l’ouverture de la lame.
Mimosa m’appela pour bavarder un peu. Les deux filles n’avaient pas sommeil et autour de nous une dizaine de copains se reposaient de leur course. Elles étaient pour moi de charmantes petites amies. Mimosa avait partagé ma chabola (trou creusé dans le sol et recouvert de chaume et de branches). Elle était d’origine polonaise. Mariée à un Français ivrogne et brutal, elle s’était enfuie et avait passé la frontière. Son caractère était exactement opposé à celui d’Augusta : elle ne savait pas dire non, aimait la vie, l’amour et le rire. Un soir, à Monte Oscuro, trop fatiguée pour avoir envie d’autre chose que de dormir, elle m’avait demandé l’hospitalité pour une nuit afin d’échapper au désir de ses adorateurs. J’avais accepté et pendant deux nuits, elle avait partagé ma paille comme une petite fille peut partager le lit de sa mère.
Je m’assis entre elles. Mimosa racontait à sa copine l’aventure que nous avions vécue la veille de la relève. Berthomieu m’avait envoyé à Farlete prévenir l’intendance que le groupe arriverait vers midi et qu’il fallait préparer un repas chaud pour les hommes. Mimosa n’avait pas voulu rester seule dans le trou, elle en était sortie et m’avait emboîté le pas. Il n’y avait pas de route pour aller de Monte Oscuro à Farlete, sauf des chemins que l’on reconnaissait aux ornières que les charrettes creusaient dans la terre des champs au temps des labours et des récoltes. Nous étions perdus.
Je l’écoutais dire comment, après avoir marché pendant deux heures, elle avait dû s’arrêter pour reprendre des forces et quelle était ma colère de voir que je n’arrivais pas à m’orienter dans cette nuit noire comme un four. La pluie était venue compliquer les choses en nous trempant jusqu’aux os. À notre arrivée à la paridera où, au risque de nous faire repérer par une patrouille ennemie, j’avais allumé un feu d’enfer pour nous sécher, il lui était venu une envie folle de faire l’amour.
Mimosa parlait à voix basse et riait doucement pour ne pas réveiller les copains. Elle avait pris ma main et l’avait emprisonnée entre ses cuisses. Augusta s’était saisie de l’autre et la pressait sur son sein. Personne ne savait qu’elles allaient ainsi prendre congé de la vie.
(…)

Nous étions en train de compter ceux qui étaient contre la reddition lorsqu’un chapelet d’imprécations, de jurons accompagnant des coups de feu, nous interrompit.
« Salauds, hijos de puta, assassins, verdugos, figli di puttana !... »
Nous nous sommes précipités aux meurtrières. Je croyais devenir fou, je fermai les yeux et je sentais l’estomac me sauter à la gorge. J’avais envie de vomir. Là-bas, dans la poussière, deux corps gisaient, ensanglantés, le ventre ouvert, les entrailles sortant de la blessure béante s’épandaient jusqu’au sol. Elles étaient nues, elles vivaient encore. Leurs mains essayaient de retenir leurs intestins. Augusta, Mimosa. Quelqu’un m’écarta de la meurtrière : c’était Cartagena, je l’ai vu épauler son fusil, puis j’entendis des détonations. C’était fini. Je pleurais. Je n’étais pas le seul. Georges vint me dire que l’Allemand s’était suicidé en se logeant une balle dans la tête. »

Fin des extraits.


Augusta

Nous savons peu de choses sur elle.
Augusta Marx, aussi appelée Trude, était une militante du Parti Socialiste Ouvrier Allemand engagée dans les colonnes anarchistes. Un document manuscrit provenant des archives de la FAI semble la concerner :

« H. Diesel et Wolf. Délégation du S.A.P auprès du Comité de l’Exécutive du POUM. Secrétariat international. Trude (camarade allemande avec Georgette). Parti socialiste Ouvrier allemand ».

Cette jeune Allemande est aussi répertoriée dans une liste des membres du DAS [3] en Espagne. Un autre document de la FAI, non daté, atteste que le « Groupe DAS contrôlé par le Comité régional garantit que la compañera Augusta Marx est antifasciste, et qu’il faut faire en sorte qu’elle soit incorporée dans la colonne internationale. La camarade est une infirmière confirmée ».

Enfin on trouve cette mention d’elle dans une liste « des camarades allemands du Groupe international de la colonne Durruti », en date du 25 octobre 1936 (la mort d’Augusta n’est pas encore intégrée), suivie des adresses de proches à contacter en cas de malheur (supposons-nous) qui confirment qu’Augusta était réfugiée en France :

« Marx Auguste [sic]
a) Léo Cohn, 38 bis rue Vital, Paris 19°.
b) 25 boite postal Issy les Moulineaux (France) »

Voir la suite sur Augusta Marx : http://gimenologues.org/spip.php?article645

Mimosa

Le sort en est jeté, je vais au front moi aussi, je l’ai demandé expressément. Je crois que je ne reviendrai pas, mais cela est sans importance, ma vie a toujours été amère et le bonheur n’existe pas. […] Je veux partir, aller là où l’on oublie peut-être tout, là où je serai l’activité qui sauve, où l’on m’aimera peut-être un peu.
[…]
Mon Dieu, je tremble, je suis rouge, puis pâle, puis verte, comme un melon d’eau, et tremblante ; je le savais pourtant que je devais partir, ne me suis-je pas offerte, n’ai-je pas réclamé. Depuis longtemps suis-je donc autre chose qu’une coque vide, qu’une âme douloureuse sans espoir, le cadavre des illusions n’est-il pas assez lourd en travers de ma poitrine pour que j’en veuille finir ?
Oui je vais partir et maintenant j’ai peur, je savais que j’aimais la vie qui m’a fait mal... je ne savais pas, je ne croyais pas que je l’aimais autant.


Tels sont les mots de Georgette (Mimosa) qu’elle a confiés à son « Journal [4] » trouvé dans ses affaires après sa mort sur le front.

Les Giménologues, 10 mai 2011
Revu et corrigé le 2 août 2020.


BRIVADIS-ANGO Georgette « MIMOSA », épouse KOKOCZYNSKI,
Née le 16 août 1907 – tuée le 16 octobre 1936
Infirmière – Paris 6 – Aragon
lundi 4 février 2008 par R.D. Rolf Dupuy

portait de Mimosa
Georgette Kokoczynski



Originaire d’une famille de la classe moyenne, Georgette née Brivadis (du nom de sa mère, Léontine ) puis devenue Ango (après la reconnaissance par son père, Robert), avait quitté la maison familiale à l’âge de 16 ans pour gagner Paris où elle fut accueillie chez André Colomer dont la compagne, Magdalena, l’initia aux idées libertaires. Elle vécut ensuite à partir de 1925 en union libre avec Fernand Fortin et fut membre du groupe Education Sociale que ce dernier avait fondé à Loches en Touraine et où elle commença à intervenir dans les meetings et les festivals. Revenue à Paris en 1928, elle fit partie sous le nom de scène de Mimosa d’un groupe théâtral qui animait les réunions et les festivals libertaires en région parisienne. Selon Lola Iturbe « …quand elle avait fini son récital, elle descendait dans la salle et vendait La Revue Anarchiste » (Paris, 25 numéros de décembre 1929 à juin 1936) dont le gérant était son compagnon Fortin. A la même époque elle obtint un diplôme d’infirmière.

Georgette, surnommée « Mimosa » a épousé en 1931 le militant socialiste Mieczcjslaw Kokoczynski et fréquenta « les milieux socialistes d’extrême gauche, ce qui ne l’empêcha pas de maintenir des relations avec ses anciens camarades » (cf. L. Iturbe).

Le 18 septembre 1936 Georgette partit pour l’Espagne et s’enrôla dans le groupe international de la colonne Durruti. Envoyée sur le front d’Aragon où elle s’occupait avec entre autres les militantes allemandes Augusta Marx et Madeleine Gierth de l’infirmerie et de la cantine, elle fut tuée avec plusieurs autres infirmières le 16 octobre 1936 lors de la bataille de Perdiguera où périrent plusieurs dizaines de volontaires étrangers dont les militants français Roger et Juliette Baudard, Yves Vitrac, Bernard Meller, Jean Delalain, Suzanne Girbe, Louis Recoulis, René Galissot, Jean Albertini, Jean Giralt, Raymond Bergé et Henri Delaruelle.
Les détails de sa mort ne sont pas connus mais il semble qu’elle fut capturée par les franquistes, fusillée avec d’autres compagnons, puis, selon certains témoignages que son corps fut brûlé dans une grange. Selon le témoignage d’Antoine Giménez, elle aurait été capturée avec Augusta Marx, une autre infirmière, puis les deux femmes, dénudées et éventrées mais encore vivantes, auraient été jetées sur la ligne de front où un compagnon les aurait achevées.
Après sa mort et en hommage, un groupe de la Fédération anarchiste ibérique (FAI) de Barcelone portera son nom.

Note sur le militant anarchiste français Ferdinand Félix FORTIN, né le 2 avril 1899.
Membre du syndicat des correcteurs d’imprimerie, gérant de La Revue Anarchiste (individualiste), il subira plusieurs mois de prison, en 1935 et 1936 pour la publication d’articles antimilitaristes dont la reproduction d’un extrait du "Manuel du soldat" écrit par Georges Yvetot en 1903. En 1936, il rejoint Barcelone et la révolution libertaire. A son retour en France, il poursuit son action militante.

Sources :
A. Gimenez & Les Giménologues « Les fils de la nuit… », op. cit.
Lola Iturbe « La mujer en la lucha social » Ed. Mexicanos Unidos, 1974
David Berry « French anarchists volunteers in Spain », 1997
Acte de naissance mairie de Versailles