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Nouvelle recension du livre
Amor Nuño et la CNT. Chronique de vie et de mort.
Jesus F. Salgado. Fundation Anselmo Lorenzo, Madrid • De Miquel Amorós

Nouvelle [1] recension du livre

Amor Nuño et la CNT. Chronique de vie et de mort.
Jesus F. Salgado. Fundation Anselmo Lorenzo, Madrid
De Miquel Amorós [2]

La mémoire historique du prolétariat est dans ce livre rigoureux, objectif et documenté un véritable apport. L’auteur nous comble avec une biographie du militant anarcho-syndicaliste Ricardo Amor Nuño, figure peu connue encore aujourd’hui, et pénètre dans tous les recoins de la répression sanglante et arbitraire qu’a connue l’arrière-garde républicaine pendant les premiers mois de notre guerre civile révolutionnaire, faisant découvrir ses véritables responsables. Et, bien entendu, sans faire l’impasse sur l’implication que le mouvement libertaire a pu avoir.
Le triomphe des « loyaux » à la République à Madrid a rempli les prisons de suspects, d’opposants et séditieux. Dans la capitale en outre, des milliers de partisans du soulèvement militaro-fasciste sont restés libres, cachés ou infiltrés, ce qui a entraîné un travail policier et milicien intense pour contrecarrer leur travail d’information et de sabotage ; travail qui n’a pas reculé devant des mesures terroristes comme les « promenades »meurtrières, les« sorties de prison » assassines et les exécutions sommaires, sous l’aile des plus hautes instances, quand il n’était pas directement commandité par ses représentants.

La défense de la liberté et la légitimité s’accordent mal avec la terreur, et c’est vite devenu un lieu commun d’attribuer les massacres aux « éléments incontrôlés » ou aux anarchistes. Les historiens académiques ont pour habitude d’emprunter ce chemin, où les conteurs à coloration libérale ou social-démocrate remportent la palme, omettant les preuves ou les manipulant sans état d’âme.

Le premier prix à l’ignominie revient à Jorge Martinez Reverte et à Paul Preston qui ont trouvé chez Amor Nuño le bouc émissaire idéal, militant de peu d’importance, sitôt mort sitôt oublié. C’est ainsi qu’un honnête combattant du syndicat madrilène du Transport qui n’avait jamais eu de sang sur les mains, moralement intègre, qui a sauvé la vie de nombreux hommes pourchassés, et qui a fait ce qu’il a pu contre toutes les dérives, payant son intégrité face au peloton d’exécution franquiste, s’est vu transformé par l’oeuvre d’une infâme affabulation digne des pires staliniens en un assassin sans pitié, traître à la cause, expulsé de son organisation et passé aux rangs des nacionales.

C’est comme ça que les mercenaires écrivent l’histoire. L’objectif est clair : ravaler la façade du gouvernement de la République et exonérer de toute accusation les socialistes et républicains, qui ont été ceux qui, dans ces temps-là, ont occupé la plupart des postes et ont pris les fatales décisions. L’auteur, Jesús Salgado, apporte des preuves avec témoignages et documents qui ne laissent aucun doute. L’État républicain se doit d’être présenté sans tache, défendant la loi et le droit face aux rebelles, véritables exterminateurs. Mais il n’en a pas vraiment été ainsi.

Les exécutions systématiques dans le camp des loyaux (à la république) ont commencé avec la création en août 1936 du Comité Provincial d’Investigation Publique par le Ministère de l’Intérieur et la Direction Générale de Sécurité. Ont également été crées des comités d’épuration dans la police, la garde civile et les militaires. Les comités, organisés sous le gouvernement Giral, ont continué à être actifs sous celui de Largo Caballero. Environ la moitié des morts survenues pendant les six premiers mois de la guerre ont été le fait du CPIP. En particulier celles qui se sont produites à la suite de l’incendie de la Prison Modelo, celles du train de Jaen et celles de début novembre. Il convient d’attribuer d’autre morts aux « éléments incontrôlables » qui n’étaient pas anarchistes, mais bien des membres connus de la police, composant des « brigades » comme celle d’Atadell, celle d’Amanecer, etc. ou des patrouilles communistes qui parfois brandissaient des cartes de la CNT. « Membres incontrôlés » était le qualificatif qui servait à désigner au début de la guerre les groupes qui échappaient au contrôle des organisations. C’est seulement au cours de phases ultérieures que ce terme a été employé contre les bases anarchistes qui entraient en résistance contre la contre-révolution dirigée par le PC. Aussi actifs, voire davantage, ont été différents centres socialistes de l’UGT et des communistes, bien pourvus en véhicules et armement, avec leurs « checas » (police politique) correspondantes.

Bien entendu la CNT a également eu une « checa » (celle du cinéma Europa), a participé aux dites « promenades » et a envoyé des représentants aux comités d’épuration. Il y a eu des affiliés dans les brigades volantes du CPIP. Mais le nombre de morts que l’on peut attribuer aux anarchistes est sensiblement inférieur à celui de ses concurrents socialistes et communistes, majoritaires à Madrid et contrôlant tous les ressorts administratifs. De nombreux prisonniers ont été exécutés par des rafales de mitraillette, armes non accessibles aux libertaires. Quant aux rares représentants de la CNT dans la police et les comités, ces derniers ont obéi aux ordres donnés par le Ministère de l’Intérieur, le Ministère de la Guerre ou la DGS, avec à son front un membre du parti de Azaña. La CNT n’avait pas une politique de répression spécifique comme celle du PCE ou de la première Junte de Défense, clairement partisane de la « liquidation », et présidée officiellement par le socialiste Largo Caballero.
Il n’y a pas eu de terreur anarchiste dans l’arrière-garde, il y a eu une terreur gouvernementale. Jusqu’au moment où le gouvernement abandonne Madrid, c’est lui qu’il faut signaler comme le plus grand responsable des massacres de « gens de droite » dans la capitale.

A partir du 8 novembre, la Junte de Défense de Madrid, présidée par le général Miaja, partage la responsabilité – qu’elle assumera entièrement le 21 novembre 1936, quand la domination communiste est absolue – la décision des assassinats étant l’oeuvre du Ministère de l’Ordre Public, dont le secrétaire fut Santiago Carrillo, funeste personnage que le stalinien Martínez Reverte essaie de couvrir par sa falsification.
Il est vrai qu’Amor Nuño a fait partie de la Junte, d’abord comme conseiller des Industries de Guerre, et ensuite comme délégué aux Transports, jusqu’à sa démission en décembre. Et même si dans les postes occupés il n’a pas pu contribuer beaucoup à la répression, on peut lui reprocher d’avoir appartenu à une institution au nom de laquelle des atrocités étaient commises. C’est tout.

Le fait que la CNT n’ait pas pesé grand chose dans la Junte, et encore moins dans des décisions de cette nature ne peut pas être une excuse. On ne peut pas argumenter non plus à la décharge des responsables des crimes l’impossibilité d’agir d’une autre manière, étant donnée la fureur assassine des commissionnés, quand on sait qu’un anarchiste, Melchor Rodriguez, nommé Directeur Général des Prisons en décembre par Juan Garcia Oliver, autre anarchiste, Ministre de la Justice, avec le peu de moyens à sa disposition arrêta net les « sorties de prison » assassines et les exécutions devant les murs des cimetières. Cela dit sans intention de minimiser, cacher ou justifier le rôle des libertaires dans la répression, mais seulement pour l’évaluer dans sa juste proportion. Et le condamner.

Argelaga, printemps 2015

(Traduction Juliette)

Les Giménologues, 25 novembre 2015