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Les Gimenologues
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Epilogue .

Je viens de terminer mon récit : je me suis efforcé de ne dire que la stricte vérité, telle que ma mémoire l’a gardée.

Je viens de terminer mon récit : je me suis efforcé de ne dire que la stricte vérité, telle que ma mémoire l’a gardée. Certains faits qui ne me touchaient pas personnellement et dont je ne suis pas certain de l’authenticité, je les ai gardés pour moi. De toutes façons, ce qui pour moi est le plus important, ce ne sont pas les faits matériels mais les motivations qui ont poussé ces hommes à faire ce qu’ils ont fait.

À peine sorti de l’enfance, j’ai vécu l’avènement du fascisme. J’ai vu la veulerie des politiciens devant le déferlement de la violence des chemises noires. Entre douze et quatorze ans, j’avais dévoré les œuvres de Kropotkine, Malatesta, les poèmes de Pietro Gori et une infinité de brochures, ne retenant de tout cela qu’un ferment de révolte et une admiration sans bornes pour ceux qui se levaient, le poignard, le pistolet ou la bombe à la main contre les tyrans qui oppressaient les peuples.

En 1936, j’étais ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui un marginal : quelqu’un qui vit en marge de la société et du code pénal. Je croyais être un anarchiste. Je n’étais en réalité qu’un révolté. Mon action de militant se limitait à faire passer la frontière à certaines brochures imprimées en France et en Belgique, sans jamais chercher à savoir comment on pourrait reconstruire une nouvelle société. Mon seul souci était de vivre et de démolir l’édifice existant.
C’est à Pina de Ebro, en voyant s’organiser la collectivité, en écoutant les conférences données par certains copains, en me mêlant aux discussions de mes amis, que ma conscience, en sommeil depuis mon départ d’Italie, se réveilla. Mario voulut me faire profiter de son expérience, de son savoir et, pour cela, il avait mis noir sur blanc nombre d’idées et de connaissances pour que je puisse y réfléchir. Ses arguments, l’exposé clair et concis de sa pensée m’ont permis de regarder froidement l’évolution de la société, de constater la justesse de sa perception des faits, lorsqu’il affirmait que les formations politiques d’origine révolutionnaire devenaient réactionnaires : républicains, socialistes, communistes, une fois arrivés à conquérir le Pouvoir n’ont eu rien de plus pressé à faire que de consolider leur appareil de répression et de garder ou rétablir les privilèges qu’ils étaient censés abolir.

Conditionnées par des millénaires d’ignorance et d’esclavage, à écouter, à obéir, à croire, les masses laborieuses de l’humanité se réveillent lentement au fur et à mesure qu’augmente leur capacité de raisonnement et elles réclament le droit de vivre libres de toutes entraves.
Habitués à avoir un maître, un directeur, un berger, les individus qui forment l’humanité se groupent et suivent, selon leur degré de conditionnement, les professionnels de l’escroquerie sociale qui leur promettent l’Égalité, la Liberté, la Justice. Dans aucun pays de notre monde la liberté n’est égale pour tous, ni la justice indépendante, car elles sont contrôlées par la faction qui détient le Pouvoir, laquelle, à son tour, obéit au groupe de la Haute Finance qui lui donne les moyens d’y parvenir. L’argent n’est pas seulement le nerf de la guerre, il est aussi celui de la politique, il est le but de toute activité humaine. Aujourd’hui, tous les efforts sont motivés par la rentabilité. On dit : “ Ceci est rentable, cela ne l’est pas ”, et pour gagner de l’argent, toujours plus d’argent, on oublie ce qui est nécessaire, ce qui est utile à l’humanité, et on emprisonne petit à petit la terre entière.
Il faut qu’agriculteurs et ouvriers, ingénieurs et scientifiques se rendent compte qu’ils n’ont pas besoin de financiers, ni de banquiers, ni de politiciens pour vivre libres et heureux mais qu’ils ont besoin les uns des autres pour que l’humanité survive et avance vers le bonheur universel et que, pour cela, ils doivent d’abord éliminer tous ces parasites qui les oppriment, les exploitent, les réduisent à l’état d’animaux dressés pour telle ou telle besogne.

Aujourd’hui, dès sa plus tendre enfance, on conditionne l’être humain à connaître la valeur de l’argent. Toute l’éducation est axée sur la possibilité de l’enfant, devenu adulte, de gagner de l’argent pour subvenir à ses besoins. Je pense qu’il serait plus rationnel et plus humain, plus avantageux pour la société, de permettre à l’enfant de choisir parmi les métiers les plus nécessaires à la collectivité, celui qui lui plaira le plus et qui lui permettra, comme n’importe quel autre, de profiter des plaisirs de la vie. Mais cela n’est possible que dans une société libertaire où la propriété privée sera abolie, où aucune espèce de monnaie n’aura plus cours, où l’homme libéré des préjugés et des complexes patriotiques et religieux aura enfin compris que, malgré les différences physiques ou intellectuelles, nous sommes tous égaux et interdépendants les uns des autres, chacun doit apporter à la collectivité le produit de son travail pour pouvoir prendre ce qui lui est nécessaire.

Nous prétendons être civilisés. Mais ce mot ne veut rien dire car nous avons rétrogradé sociologiquement : la collectivité tribale était plus juste et équitable dans ses structures que notre société super civilisée. La majorité des gens se plaignent de la recrudescence de la délinquance et de la violence, et chargent la jeunesse moderne de tous les maux dont souffre la société, sans se rendre compte que les vrais coupables sont ceux (nous, devrais-je dire) qui n’ont pas su assurer à leurs enfants et petits-enfants une organisation sociale vraiment juste, basée sur l’égalité des tâches nécessaires à la Vie et au bien-être de tous. La violence et la délinquance sont utiles aux classes dirigeantes, car elles permettent, sous prétexte de les juguler, de renforcer l’appareil policier qui leur servira à briser toute tentative de révolte des classes productives et de recruter, parmi les hors-la-loi, les hommes de mains pour exécuter les basses besognes que même un policier refuserait d’accomplir. Tout est mis en œuvre pour pousser l’individu, enfant et adolescent, à devenir un adulte épris d’admiration pour les meurtriers, les voleurs, les escrocs de tout acabit.

La littérature, le cinéma, la télévision au service des nantis développent les instincts primitifs de l’animal humain pour le maintenir dans un état de semi-barbarie qui permet de diviser les individus, de dresser les ouvriers contre les paysans, les manœuvres contre les ouvriers et ceux-ci contre les techniciens, ingénieurs, physiciens, chimistes. La société moderne, basée sur l’argent, ne se soucie guère de ce qui est utile et bon pour l’Humanité, mais de ce qui est rentable. La société dite de consommation est une immense escroquerie à échelle mondiale : tout y est frelaté, faussé, empoisonné. La publicité pousse les individus à acheter n’importe quoi, crée des besoins nouveaux qui nécessitent encore plus d’argent pour les assouvir. Les êtres humains, hypnotisés par le besoin d’argent, ne s’aperçoivent pas que cette quête sans fin conduit à toutes les catastrophes qui aboutiront à la destruction de la Vie.

Les détenteurs du Pouvoir, capitalistes et politiciens de tous bords, pour asseoir leur emprise sur les masses productives, depuis toujours se sont efforcés de dresser les différentes familles qui forment l’humanité les unes contre les autres : patrie, religion, idéal, tout est bon pour servir de prétexte à l’assassinat, au pillage, au déferlement de la haine, car la haine empêche les individus de raisonner sainement.

Patriote et raciste sont synonymes : ils portent en eux la même idée de supériorité d’un individu sur un autre, le même germe de haine qui les dressera l’un contre l’autre au moment choisi par le politicien qu’ils se sont donné pour maître. La société contemporaine est fondée sur la violence, l’injustice et la haine. Ses vertus majeures sont le mensonge, la trahison et l’hypocrisie.

Près de 40 ans se sont écoulés . Malgré les progrès de la science, malgré la boucherie monstrueuse qui a ensanglanté la terre entière et qui laisse prévoir l’horreur de la prochaine guerre, les hommes et les femmes refusent de comprendre que l’Humanité n’aura jamais la Paix, la Justice, l’Égalité, la Liberté tant qu’il y aura la Monnaie et sa conséquence logique : la propriété privée. Tant que le capitalisme (privé ou d’État) concentrera ses efforts dans la construction, le perfectionnement des outils de destruction, maintenant un climat de guerre permanent, sans que les masses se révoltent et refusent de suivre, il n’y aura pas de salut possible.

Il faut que les métiers et professions nécessaires à la vie et au bien-être de la collectivité aient la place qui leur revient de droit, et pour cela on doit éliminer toutes les cohortes parasitaires qui les exploitent.
Toutes les révolutions ont échoué. La Révolution Française, malgré sa Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, a gardé les inégalités sociales et économiques de l’ancien régime. La Révolution Russe a débouché sur une dictature qui n’a rien à envier à celles des partis réactionnaires avec les mêmes différenciations économiques. La Révolution Chinoise n’est pas encore terminée mais elle a gardé les ferments qui la conduiront à plus ou moins longue échéance à l’échec : l’argent et la propriété privée, une direction centralisée, une armée de métier.
Quarante ans après, en regardant autour de moi, je vois que la lutte pour le Pouvoir continue, aussi âpre, aussi incohérente. Je vois ouvriers, paysans, techniciens, savants, aveuglés par l’argent, se dresser les uns contre les autres et, au-dessus d’eux, les politiciens et leurs maîtres les regarder et rire en se frottant les mains.

Je vois la Terre, ma patrie, je vois l’Humanité, ma famille, lentement empoisonnées par l’esprit de lucre, par l’intérêt sordide de quelques-uns qui s’avancent vers la mort, la destruction totale, et en pensant à vous, mes amis disparus en combattant pour un Idéal d’égalité absolue, de Liberté totale, je me dis que vous aviez raison : seule une société libertaire peut sauver les Hommes et le Monde.


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