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Dix-neuvième épisode. 24’20’’.
La démobilisation des volontaires étrangers.

Pour la République, la percée d’Aragon a des conséquences très graves...

Dix-neuvième épisode : la démobilisation des volontaires étrangers

Pour la République, la percée d’Aragon a des conséquences très graves : le monde entier ne peut que constater la supériorité des franquistes et de leurs alliés. Tandis que Franco proclame que « la guerre est le couronnement d’un processus historique de lutte de la mère patrie contre l’anti-patrie », l’écrivain russe Ilya Ehrenburg écrit dans la Pravda que l’Union Soviétique « tend la main de la réconciliation aux patriotes espagnols », c’est-à-dire aux phalangistes... Beaucoup de spécialistes et de chefs militaires du « pays ami » quittent l’Espagne, alors que l’on reconstitue les Brigades internationales près de Barcelone. Durement éprouvées, certaines sont désormais composées à 60% d’Espagnols.

Pour tenter de rétablir l’unité du territoire républicain, l’armée de l’Est, renforcée par des troupes fraîches venues du Sud, livre le 24 juillet 1938 l’offensive de la dernière chance dans le sud de l’Aragon, le long de l’Ebre. L’effet de surprise permettra à l’armée républicaine de repasser le fleuve. Ensuite, le front se stabilisera jusqu’au début du mois de novembre. Cette bataille est la dernière pour les Brigades internationales, car le premier octobre, la Société des Nations exige le retrait de tous les étrangers d’Espagne, que seule la République appliquera. Les volontaires internationaux survivants vont défiler dans Barcelone le 15 novembre, dans un émouvant adieu aux Espagnols. Au même moment, la contre-offensive franquiste détruit quasiment l’armée de l’Est. Le 21 décembre, Franco fonce sur la Catalogne, et après le passage de ses soldats, la répression et les massacres commencent. La fin de ce conflit voit mourir des dizaines de milliers d’hommes, alors que militairement les jeux sont faits depuis des semaines. Certains dans le camp républicain pensent qu’il faut tenir le plus longtemps possible, parce qu’un conflit mondial est sur le point de se déclencher, et que les démocraties se joindront à l’Espagne. Mais ces dernières signent le 30 septembre les accords de Munich, entérinant l’invasion de la Tchécoslovaquie par Hitler.

Les deux derniers mois de la guerre en Catalogne se passent de la manière la plus tragique qui soit. Sous d’intenses bombardements, les Barcelonais sentent de jour en jour l’étau se resserrer sur la ville, tandis que les soldats républicains s’y replient en catastrophe. La frontière avec la France devient l’horizon final du combat. Comme le dit Abel Paz dans ses souvenirs, empreints d’une ironie douloureuse :
« Les héros étaient morts, et seuls restaient debout les fantômes de ce qui aurait pu être, mais ne serait plus. (...) Tout semblait indiquer que la capitale catalane n’offrirait aucune résistance, la guerre avait épuisé l’enthousiasme révolutionnaire ». Avant de fuir dans les derniers camions, des anarchistes vont libérer les prisonniers de la Modelo et du fort de Montjuich.

Barcelone tombe sans combattre le 26 janvier 1939, et dans la confusion générale, des centaines de milliers de personnes partent sur les routes, souvent à pied. L’armée en déroute les couvre comme elle le peut, avec l’aide d’une ultime brigade internationale reconstituée par des réfugiés politiques démobilisés. Ces Autrichiens, Polonais, Hongrois, Allemands, Italiens avaient été jugés indésirables et refoulés trois mois plus tôt à la frontière française.

Récit : du chapitre Théories à la fin du chapitre Démobilisé

Fin du récit :

La frontière française est ouverte le 27 janvier 1939. La France reconnaît le gouvernement de Franco le 27 février et envoie le maréchal Pétain comme ambassadeur. Parmi les anarchistes, on ne s’attend pas à être bien reçu en France, comme en témoigne Abel Paz : « Notre exil sera dur, très dur. La bourgeoisie française ne nous pardonnera pas notre audace, souvenons-nous de la répression des communards de Paris ! » Mais il n’avait pas imaginé qu’on allait les parquer sur des plages entourées de barbelés, sans aucun abri face aux rigueurs de l’hiver, comme des hommes en trop.

Le 28 mars 1939, Franco entre dans Madrid sans combattre, puis dans Alicante le 30 où des milliers de personnes, combattants et civils, qui pensaient fuir en bateau, sont prises dans la nasse et finiront fusillées ou dans de sinistres camps. Juste avant, selon des témoignages concordants, plusieurs personnes se sont suicidés devant toutes les autres, marquant ainsi la mémoire collective.
La guerre civile est officiellement terminée le 31 mars. Pour ceux qui restent en Espagne, la guerre du vainqueur va durer encore longtemps, et il n’y aura pas de quartier. En 5 jours, on comptera 10 000 exécutions sommaires à Barcelone. On n’a pas fini, aujourd’hui encore, de dénombrer les morts.

Antonio Gimenez arrive en France, chargé du souvenir de tous ses amis disparus. Mais les recherches dans les centres d’archives que nous avons entreprises nous ont permis de retrouver la trace de certains d’entre-eux. Nous avons été surpris de constater que tous n’avaient pas péri en Espagne.
Ainsi Hans, le mari de Madeleine. Entré dans les brigades internationales, il survécut aux combats et passa en France où il fut interné dans le camp de Gurs. Durant l’occupation allemande, il fut capturé par la Gestapo.

Un autre ami de Gimenez, Frantz Ritter était originaire de Zurich. Après un retour en Suisse pour une permission en août 1937, il revient en Espagne et intègre les Brigades internationales. Il rentre dans son pays sain et sauf en septembre 1938. Mais comme la plupart des volontaires suisses, il est condamné à 3 mois de prison pour avoir combattu dans une armée étrangère.

L’Italien Carlo Scolari était suivi par la police politique mussolinienne qui ne l’a presque jamais perdu de vue pendant les années trente. Il a combattu trois mois en Aragon puis s’est déplacé à Barcelone pour y travailler. Deux notes d’information parlent d’un passage à Toulon fin 1936 et en décembre 1938, en raison de blessures qu’il vient faire soigner. En septembre 1941, Scolari dépose une demande de rapatriement auprès du consulat, et se rend le 23 novembre à Bardonnechia, où il est arrêté et interrogé. Il sera condamné à 5 ans de relégation à Ventotene.
Le jeune Lorenzo Giua tomba effectivement au combat. Ce fils d’un militant socialiste sarde emprisonné par Mussolini en 1934, part en France pour échapper au même sort. Membre actif du groupe Giustizia e libertà, il rejoint les révolutionnaires espagnols dès juillet 1936. Engagé dans les Brigades internationales au printemps 1937, il intègre la brigade Garibaldi où les anarchistes étaient mieux traités que dans les autres. Blessé plusieurs fois et promu capitaine, il meurt en février 1938 sur le front d’Estrémadure.

Quant au fasciste dissident Pablo Vagliasindi, selon les rapport de la police de Rome, il semble qu’il ait été emprisonné par les communistes, à Barcelone puis à Valence, au cours de l’été 1937, pour avoir refusé de commander des détachements contre les légionnaires italiens du camp opposé. Semble-t-il passé en France lors de la retraite républicaine, il serait revenu peu après en Espagne où les franquistes l’auraient arrêté. Il est condamné à perpétuité par le Conseil de guerre de Barcelone pour avoir aidé la colonne Durruti. La dernière trace que l’on ait de lui date de 1943. Emprisonné à la Modelo, il espère que l’Etat fasciste italien viendra à son secours...

Parmi les réfugiés aragonais du printemps 1938, nous savons pour les avoir rencontrés que Vicenta et Félix, les deux enfants de la Madre de Pina de Ebro, sont toujours vivants et se souviennent fort bien d’Antonio Gimenez. La Madre, son mari et leurs quatre enfants ont pu regagner leur village à la fin de la guerre. Antonio n’a pas eu la chance de les revoir.