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Les Gimenologues
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Recension dans Alternative Libertaire.

Publiée dans le n° 155 d’octobre 2006.

De l’amour, la guerre et la révolution

“ En 1936, j’étais ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui un marginal : quelqu’un qui vit en marge de la société et du code pénal. Je croyais être un anarchiste. Je n’étais en réalité qu’un révolté. [...] Mon seul souci était de vivre et de démolir l’édifice existant. C’est à Pina de Ebro, en voyant s’organiser la collectivité, en écoutant les conférences données par certains copains, en me mêlant aux discussions de mes amis, que ma conscience, en sommeil depuis mon départ d’Italie, se réveilla. ”


C’est avec modestie qu’Antoine Gimenez revient, au soir de sa vie, sur le jeune révolté qu’il était à 26 ans. En 1936, il n’est déjà plus l’Italien Bruno Salvadori, ayant fui les Chemises noires de Mussolini. Anarchiste passionné, il mène une vie mouvementée et itinérante en France puis en Espagne : contrebandier, passeur, plusieurs fois condamné et expulsé. Francophone et hispanophone, il se choisit un nom de guerre à cheval sur les Pyrénées : Antoine Gimenez. Il est en Espagne lors du pronunciamiento du 18 juillet 1936 et rejoint naturellement les rangs des miliciens libertaires qu’il ne quittera qu’à la fin, en février 1939. Militant libertaire tardif à Marseille, il rédige ses mémoires en 1974 et les dépose, avant de disparaître en 1982, au Centre international de recherches sur l’anarchisme (CIRA).

C’est là qu’une poignée de passionné-e-s, qui se baptiseront bientôt avec malice les “ giménologues ” découvriront, émerveillés, ce manuscrit remarquable. Enthousiastes, ils décident de le faire publier et d’y adjoindre une étude critique, fruit de longues recherches et de découvertes souvent inédites. Cela donne aujourd’hui un livre atypique, constitué de 189 pages de récit et de 327 pages de notes explicatives, études, hypothèses, recoupements, etc.

La publication du manuscrit n’avait pourtant, du vivant d’Antoine Gimenez, pas pu se faire. Si sa valeur historique n’était pas passée inaperçue des éditeurs, ceux-ci avaient froncé les sourcils à la lecture de passages plus intimes. En effet, Antoine a aimé passionnément les femmes ; son récit s’attarde ainsi sur chacune de ses rencontres, offrant une illustration de ce que put être la libération sexuelle durant la Révolution espagnole, aspect méconnu et vite occulté par 35 ans d’obscurantisme franquiste. Contrairement aux éditeurs “ culs-pincés et pudibonds d’un autre âge ” ayant précédemment refusé le manuscrit - et dont les giménologues ont préféré taire les noms - les éditions L’Insomniaque nous offrent aujourd’hui ce livre dont le titre, Les Fils de la nuit, reprend le nom des guérilleros anarchistes qui opéraient derrière les lignes nationalistes en Aragon. Curieusement, l’engagement des volontaires étrangers dans les rangs du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM, organisation communiste espagnole antistalinienne) est bien plus connu du grand public que celui, beaucoup plus important, des libertaires étrangers au sein de la CNT-FAI. Certes, les œuvres d’Orwell et, plus tard, Ken Loach ont participé à la célébration de l’engagement de cette poignée de volontaires en marge ou en rupture des Brigades internationales.

L’engagement des étrangers

Et pourtant. Si les quelques unités internationales du POUM ont vu passer environ 250 étrangers, les colonnes libertaires ont rassemblé plus d’un millier de volontaires étrangers. Italiens surtout, français et allemands ensuite, mais aussi anarchistes bulgares ou russes. Ces volontaires se rassemblent en centuries dans chacune des grandes colonnes combattantes de la CNT-FAI. La plus importante, le Groupe international de la colonne Durruti, dont fera partie Antoine Gimenez, est créé à la fin du mois d’août 1936 sur les rives de l’Ebre, à l’initiative de jeunes Français comme Charles Ridel (alias Louis Mercier-Vega) et Charles Carpentier. Il s’agit bien d’un engagement de combattants libres, loin du militarisme et de la discipline de caserne des Brigades internationales. Ils sont très vite plus d’une centaine, dont de nombreuses miliciennes, mais à la suite de furieux combats dans la sierra aragonaise, les temps changent : le principe de la militarisation des milices est accepté à la fin de l’année 1936 par la direction de la CNT, et les femmes ne sont plus autorisées à se battre. Les internationaux se divisent : la révolution est au point mort et on veut faire d’eux des soldats de la République. La plupart quittent alors l’Espagne mais pas Antoine Gimenez, qui restera jusqu’à la fin de la guerre. Au-delà du caractère unique de ce récit d’hommes et de femmes qui ont rejoint l’Espagne pour participer concrètement à la réalisation du communisme libertaire, le témoignage d’Antoine Gimenez est un condensé de passion, de douleur, de destins tragiques mais surtout de vie, à tout prix.

Edouard (AL Tours)

 Les Fils de la nuit. Souvenirs de la guerre d’Espagne. Antoine Gimenez et les Giménologues. Les Giménologues et L’Insomniaque, 2006. 558 p., 16 euros. [Première édition en mars 2006 à 2000 exemplaires. Deuxième édition en juin 2006 à 1000 exemplaires. [1]]

Le témoignage de Gimenez a été publié en Espagne en 2004 sous le titre Del amor, la Guerra y la Revolución.

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