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Les Gimenologues
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Guerre d’Espagne : Mémoires du front libertaire
Recension parue dans le journal L’OURS • N°461 septembre-octobre 2016

ANTONIO GIMENEZ ET LE GIMÉNOLOGUES
Les fils de la nuit
Libertalia 2016 coffret 2 vol. 998 p. 22 €

LES GIMÉNOLOGUES
¡A Zaragoza o Al Charco !
[A Saragosse ou à la mare]

L’insomniaque 2016 448 p. 20 €

Au départ, les mémoires d’Antoine Gimenez, un militant anarchiste italien qui s’est battu en Espagne. Il s’appelait en fait Bruno Salvadori. Né en 1910 dans les environs de Pise, il quitte l’Italie pour la France avant ses vingt ans. Vivant de menus larcins, pour éviter un nouvel emprisonnement il passe en Espagne, où il écope d’une nouvelle condamnation. Il réussi à changer d’identité alors que la guerre commence. C’est là que s’ouvre le « journal » d’Antoine Gimenez édité par Libertalia, celui d’un des combattants du groupe international de la colonne Durruti, la milice anarchiste qui a combattu sur le front d’Aragon. Il s’agit en fait de souvenirs rédigés à Marseille entre 1974 et 1976. Mais, l’homme a une bonne mémoire et se souvient parfaitement de ce qu’il a vécu quarante années plus tôt. Nombre de souvenirs sont intacts et exacts, les « giménologues » ayant tout vérifié pour confirmer et de rares fois infirmer ses propos.

La deuxième partie de l’ouvrage est constituée par toutes les recherches complémentaires, les extraits des témoignages des autres militants ayant pu évoquer des faits analogues. Les mémoires décrivent la constitution du groupe international, une communauté des exclus et des exilés s’étant constituée (Italiens, Russes, Cubains, Allemands, Algériens, Français, etc.), la majeur partie d’entre eux ne parlant pas le moindre mot d’espagnol. Quelques femmes sont présentes. Bien que son séjour ait été bref, la postérité a surtout retenu celle de Simone Weil, brûlée accidentellement alors qu’elle préparait des œufs sur le plat. Cinq femmes sont mortes dans les combats en octobre 1936. Les riches annexes reproduisent entre autres le journal de Mimosa, le surnom de Georgette Kokoczynski dont le propos est terrible sur la violence et les conditions de la guerre civile. Née à Paris en 1908, Georgette a vécu avec le responsable libertaire Fernand Fortin avant de se rapprocher de la mouvance pivertiste. Elle rejoint cependant la colonne Durruti le 4 octobre 1936 et meurt dans les combats 12 jours plus tard, à 29 ans.

Plusieurs militants s’imposent à la tête du groupe : l’ancien capitaine Louis Berthomieu qui meurt en même temps que Mimosa lors d’une contre-offensive nationaliste et les deux Charles, Ridel et Carpentier, figures marquantes de l’anarchisme. Gimenez décrit également ses autres camarades, des anarchistes combattant aux côtés des internationaux : comme Lorenzo Giua étudiant plusieurs fois blessés, mort au combat en 1938 ou ces Espagnols participants aux combattants de la colonne ou accueillant ces combattants comme des frères. Le journal n’omettant pas non plus d’évoquer la violence des combats.

Suite à la première édition des Mémoires de Gimenez et des débats qui ont suivi en France, en Espagne et en Italie, les Giménologues ont poursuivi leur recherche, rencontré nombres de témoins et décidé de publier un nouveau volume à partir de témoignages de militants sur l’Aragon libertaire et le rôle crucial de la ville de Saragosse dans l’imaginaire et dans l’implantation de mouvement anarchiste espagnol. Pour mémoire, la CNT, centrale syndicale à l’emblème noir et rouge, a tenu son congrès dans lequel elle réunifiait les tendances éparpillées de la centrale et proclamait le communisme libertaire comme fin, en mai 1936 dans cette ville. À travers six témoignages qui auraient pu donner chacun matière à un livre tant ils sont denses et passionnants, l’ouvrage retrace les traditions libertaires de la ville, qui perdurent clandestinement même après la victoire de Franco. Puis, il revient sur les milices anarchistes en Aragon et sur leur rôle pendant les premiers mois du conflit. Parallèlement, il se penche à travers des témoignages sur la mise en commun des terres, le partage entre les ouvriers des usines et les conflits liés à la militarisation des milices et à la progression de l’influence communiste dans l’Espagne républicaine. Ces militants ont poursuivi leur combat dans la retirada puis l’exil et souvent la Résistance en France, avec toujours l’espoir de voir renaître ce qui au dire de tous a constitué les plus beaux jours de leur vie.

Ces deux sommes qu’offrent les Giménologues sont des spécimens de recherche à l’état brut. Mémoires d’un militant, correspondances et documents d’archives s’y côtoient pour compléter le journal d’Antoine Gimenez. Comme si cela ne suffisait pas, Libertalia a ajouté à la réédition du journal un volume nourri des recherches complémentaires sur la région de Saragosse et un CD audio du journal lu.

SYLVAIN BOULOUQUE


Version pdf téléchargeable de la page 6 du journal L’Ours